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d’intérêts et d’instincts nationaux. Un moment vient où l’équilibre se rompt, où l’esprit de parti l’emporte, et alors c’est le déclin qui commence, un déclin entrecoupé de toute sorte de péripéties, voilé par instans encore d’apparences de succès, caractérisé ou accéléré par des scissions irréparables. On en était là en 1820, au lendemain des scènes tumultueuses du mois de juin et de cette discussion ardente de la loi des élections où un homme presque seul, par son intrépidité et la puissance de sa parole, venait de tenir tête aux plus violens assauts.

Depuis cinq ans, la restauration avait passé par toutes les phases, oscillant entre les partis, tour à tour attirée ou menacée par les passions, par les chimères d’ancien régime qui voyaient en elle leur propre victoire, et par les instincts vivaces d’une France nouvelle qui, sans être ennemie, restait défiante. Elle avait essayé de se fixer dans une politique de modération qui avait pour objet une patriotique et libérale réconciliation de la monarchie traditionnelle et de la société sortie de la révolution. Cette politique, elle l’avait inaugurée par l’ordonnance du 5 septembre 1816 ; elle l’avait pratiquée sous les auspices d’un roi sage, par une série de ministères évidemment bien intentionnés ; elle l’avait défendue contre les fureurs de réaction, contre les ultras, au risque de subir cette condition étrange d’avoir une opposition de royalistes et des majorités à demi composées de libéraux. C’était la première partie de sa carrière. — Maintenant, cette politique, elle la défendait, elle croyait avoir à la défendre contre les passions révolutionnaires, qui se réveillaient autour d’elle, qui se manifestaient par l’élection d’un conventionnel à demi régicide, par le meurtre d’un prince, par les menées conspiratrices. Après avoir contenu « l’aile droite, » selon le mot de M. de Richelieu, elle se sentait débordée par « l’aile gauche, bien autrement redoutable parce qu’elle avait ses réserves derrière elle, » et pour faire face à cette « aile gauche » la restauration se repliait d’un mouvement presque effaré vers la droite, jusque vers les royalistes extrêmes. Elle revenait sur ses pas, au risque de paraître se désavouer dans son passé, de livrer peut-être son avenir, et de se trouver pour le moment sans point d’appui avec un centre désorganisé entre deux « ailes » irréconciliables, également menaçantes.

La rupture avec des libéraux tels que Royer-Collard, Camille Jordan, le duc de Broglie, M. de Barante, devenait dans ces conditions le signe révélateur et émouvant de l’évolution qui s’accomplissait, d’un brusque déplacement de direction et d’équilibre. Elle mettait subitement à nu le fond des choses ; elle, rendait plus sensible, par ce « déchirement douloureux » entre des hommes d’élite, la marche rapide d’une réaction qui exigeait déjà de tels sacrifices,