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Tous les jours, les mots anciens eux-mêmes reçoivent de l’art qui les combine et qui les rapproche une lumière ou une énergie nouvelle. Nos remarques ne s’appliquent donc pas à l’exécution du programme, elles s’appliquent au programme lui-même. Le public lettré, en voyant, de la première préface à la septième, la suite d’une telle œuvre pendant près de deux siècles, ne se méprendra plus comme autrefois sur la destination vraie du dictionnaire de l’usage, par conséquent sur la nature et les limites du plan qu’il était nécessaire d’adopter. »

Lorsque parut en 1835 la sixième édition du dictionnaire, relevée par la brillante préface de Villemain, un écrivain célèbre, dont nos lecteurs n’ont pas perdu le souvenir, Gustave Planche, en fit une critique très vive, très amère, mais une critique qui, d’un bout à l’autre, était en dehors du sujet. C’est à cause dec la sans doute que la direction de la Revue, malgré sa haute estime pour le talent et l’indépendance de ce maître-juge, refusa d’insérer son manifeste. Vous ne le trouverez pas parmi les nombreuses études dont il a enrichi ce recueil, vous le trouverez au second volume de l’ouvrage publié en 1830 sous le titre de Portraits littéraires. Que disait donc Gustave Planche ? Il reprochait aux auteurs du dictionnaire de ne pas avoir « décomposé la langue dans tous ses élémens ; » d’avoir choisi pour exemples « des phrases qui ne sont présentées par personne ; » d’avoir omis ces témoignages « qui racontent l’histoire d’une expression ; » d’avoir « dédaigné la recherche de l’étymologie des mots ; » d’avoir oublié que « l’Académie est instituée non-seulement pour conserver le dépôt de notre langue, mais pour expliquer à la France l’origine et les variations de l’idiome que nous parlons. » En un mot, Gustave Planche confondait perpétuellement le dictionnaire de l’usage et le dictionnaire historique ? étrange erreur, il faut en convenir. Le dictionnaire de l’usage est une chose et le dictionnaire historique en est une autre. Le premier commencé au XVIIe siècle a été sans cesse, jusqu’à nos jours, revu, refait, rectifié, remis au courant des vicissitudes de l’usage ; le second n’a pu être entrepris qu’au XIXe siècle, dans un temps où la critique historique et philologique a pris un immense développement. Demander au dictionnaire de l’usage ce qui est l’objet du dictionnaire historique, voilà une confusion singulière. Beaucoup de personnes la commettent chaque jour ; Gustave Planche ne l’eût pas commise assurément, s’il avait lu et comparé les six préfaces des six éditions, surtout s’il avait pu connaître les pages excellentes où M. de Sacy a résumé les traditions et les principes de cette œuvre nationale avec une précision si lumineuse.


SAINT-RENE TAILLANDIER.

Le directeur-gérant, C. BULOZ.