langage des ministres anglais, le caractère d’une mesure de précaution ; mais il y a eu de ces paroles qui rendent la retraite difficile aux gouvernemens. Le prince Gortchakof, de son côté, n’a opposé jusqu’ici que la stratégie d’une diplomatie plus subtile que sérieuse à la circulaire de lord Salisbury comme aux critiques du comte Andrassy. On ne peut pas dire absolument qu’il ait rien refusé, il n’a pour sûr rien concédé : il garde ses positions. Entre les deux camps, M. de Bismarck paraît depuis quelques jours préparer le coup de théâtre d’une médiation allemande : il s’était déjà offert il y a quelques semaines comme un « courtier honnête. » Au fond quel est le nœud de cette grave situation ? Un congrès a été proposé pour régler les affaires d’Orient : ce congrès est devenu presque aussitôt impossible, et il a été impossible parce que dès le premier mot d’explication sur l’œuvre de San-Stefano l’antagonisme a éclaté entre la Russie tenant son droit de la victoire et l’Angleterre tenant de ses propres intérêts menacés, comme des intérêts de l’Europe qu’elle représente, le droit d’examen, même de révision du nouveau traité. Y a-t-il encore quelques moyens de dénouer le conflit ou de pallier l’antagonisme, soit par des négociations séparées que la Russie semblerait préférer, soit par une médiation de l’Allemagne, soit par un congrès qui redeviendrait possible ? Voilà toute la question !
A vrai dire, ce qui rend le problème si épineux et peut-être insoluble, c’est qu’il a été violemment altéré dès l’origine dans ses élémens les plus essentiels. Tout ce qui se produit aujourd’hui est le triste fruit d’une situation faussée, d’un série de malentendus qui n’ont fait que s’aggraver. Oui sans doute, l’état de l’Orient n’avait pas cessé, ne cessait pas d’être l’embarras et la préoccupation de l’Europe. L’empire ottoman se traînait dans les abus, les iniquités d’administration et les banqueroutes. Les populations chrétiennes souffraient dans leur religion, dans leurs intérêts et avaient toute sorte de droits à une protection sérieuse : leur condition devait être améliorée, ce n’était point contesté ; mais il est bien évident que, lorsque la question a repris tout à coup il y a deux ans un caractère aigu, elle a été relevée un peu arbitrairement. Elle a été abordée par les gouvernemens avec des intentions, des vues, ou tout au moins des impressions fort différentes, et dès la première heure on a commencé à ne plus s’entendre. Dès le premier jour nous avons assisté à un renouvellement, dans des proportions bien plus étendues et bien plus graves, de cette crise d’autrefois si vivement décrite par M. de Gentz dans une correspondance qui est tout un drame : la Russie impatiente de reprendre son rôle en Orient, cherchant à entraîner l’Europe ou à obtenir d’elle un bill de confiance, et l’Europe délibérant sans entrain, croyant jusqu’au bout se tirer d’embarras avec des programmes. C’est l’histoire de ces