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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




14 avril 1878.

Ce n’est point en vérité sans une sérieuse et croissante émotion qu’on voit se dérouler d’heure en heure, à travers les plus dramatiques alternatives, cette grande controverse européenne qui tantôt semble se ralentir comme pour laisser à la paix une dernière chance, et tantôt se ranime, se précipite comme pour courir à un dénoûment fatal. La question d’Orient est entrée en effet dans une phase nouvelle. Des champs de bataille de la Bulgarie, où elle s’agitait naguère par les armes dans un duel sanglant entre la Russie et la Turquie, de la villa de San-Stefano où elle était réglée il y a six semaines dans un tête-à-tête de vainqueur à vaincu, elle est passée dans les délibérations des chancelleries, dans les conflits de diplomatie, dans les parlemens.

Elle reste en suspens devant l’opinion universelle, entre les gouvernemens mis en présence par la marche des choses. En peu de jours, les manifestations caractérisées, les faits significatifs se sont succédé. Ce qui se passe à Constantinople n’est plus pour le moment l’essentiel. A Vienne, la mission du général Ignatief a définitivement échoué, le comte Andrassy a été conduit à préciser diplomatiquement ses objections contre l’œuvre des victoires russes, et à Pesth même le chef du cabinet, M. Tisza, s’est fait tout récemment l’écho des préoccupations inquiètes de l’Autriche-Hongrie. A Londres, le successeur de lord Derby, le marquis de Salisbury, a inauguré son entrée au foreign office par une circulaire retentissante ; il a résumé avec une sorte de solennité, une vigueur d’argumentation et un éclat presque inattendus, les jugemens, les griefs de l’Angleterre, et la circulaire du 1er avril n’a été elle-même que le commentaire anticipé de l’appel des réserves, la préface de ces émouvans débats du parlement où lord Beaconsfield, avec sa vibrante éloquence, a renoué les traditions de la politique britannique. — Ni à Londres ni à Vienne, il n’y a eu, bien entendu, aucune prévision avouée, aucun signe public d’hostilité, sauf cet appel des réserves qui garde, dans le