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anglais n’a jamais varié et n’a pu obtenir satisfaction. Il demandait en outre l’assurance qu’il n’existait point entre la Russie et la Turquie d’autres engagemens que ceux qui étaient consignés dans le traité de San-Stefano, enfin il réservait pour l’Angleterre une pleine et entière liberté d’action sur toutes les questions, quelles que fussent les décisions auxquelles le congrès arriverait, la loi des majorités ne pouvant être applicable à une semblable réunion. Il n’y eut pas de contestation sur ces derniers points : la Russie déclara qu’elle reconnaissait à toutes les puissances une liberté d’action dont elle entendait se prévaloir elle-même ; elle donna ensuite l’assurance formelle que le traité de San-Stefano ne contenait point d’articles secrets, et qu’il n’existait pas davantage de traité secret entre elle et la Turquie.

Restait la question des pouvoirs du congrès, sur laquelle le gouvernement russe faisait donner verbalement au comte Andrassy des assurances qui paraissaient satisfaisantes, mais évitait toute explication directe avec l’Angleterre. Lord Derby prit le parti de s’adresser, le 16 mars, au comte Schouvalof, en demandant catégoriquement si la Russie acceptait la condition posée par le cabinet anglais et qu’il formulait dans les termes suivans : « Le gouvernement de sa majesté veut, avant de prendre part au congrès, qu’il soit bien entendu que tous les articles du traité conclu entre la Russie et la Turquie seront soumis au congrès, non pour qu’ils soient nécessairement acceptés, mais afin qu’on puisse examiner quels articles seront acceptés ou discutés par les différentes puissances, et quels ne le seront pas. »

La question qui se débattait entre les deux gouvernemens était de savoir si le congrès arrêterait lui-même le programme de ses travaux ou si ce programme lui serait tracé par la Russie. L’opinion du cabinet anglais, comme lord Derby l’a déclaré à la chambre des lords, était que le congrès devait prendre pour base de ses travaux le traité de Paris, non pour le maintenir, mais pour le modifier. Tant que ce traité n’avait pas été régulièrement modifié d’un commun accord, entre ses signataires, il demeurait obligatoire pour ceux-ci. Il fallait donc que le congrès, prenant successivement chacun des articles du traité de 1856, le comparât aux stipulations du traité de San-Stefano qui y dérogeaient, et s’entendît sur la réduction à adopter pour mettre cet article en rapport avec la situation nouvelle. L’accord entre les puissances ne pourrait sans doute être obtenu qu’autant que des modifications plus ou moins importantes du traité de San-Stefano seraient consenties par la Russie, et ce serait à cette puissance à voir, à propos de chaque question, si elle pouvait ou non déférer aux demandes de l’Europe. Là était précisément le péril que la Russie voulait éviter.