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pompes si souvent menteuses du deuil officiel n’ont été pour lui qu’une sincère et faible expression de la tristesse publique. Dans toutes les villes, au midi comme au nord, l’impression a été la même. C’est à Naples, vers le soir, que j’ai appris le coup qui venait de frapper l’Italie, et je ne crois pas qu’aucune ville s’en soit montrée plus affligée. Les boutiques se sont aussitôt fermées, les théâtres ont interrompu leurs représentations, les journaux ont paru encadrés de noir. Dans les rues, une foule émue et triste, des attroupemens silencieux où l’on se communiquait à voix basse la fatale nouvelle, donnaient un aspect lugubre à la plus gaie des villes italiennes. Pour beaucoup de personnes, ce deuil public a pris le caractère et l’intensité d’un deuil privé, d’un deuil domestique. Une femme de la bourgeoisie me disait : « J’ai été deux jours sans pouvoir cesser de pleurer. » Ce qu’il y avait pour un étranger de plus inattendu, c’est que la douleur était générale sans acception de parti. Victor-Emmanuel a eu cette fortune d’être pleuré de ses adversaires comme de ses amis politiques. Sauf de bien rares exceptions, presque partout immédiatement punies par l’indignation publique, les rancunes des anciens partis ou les passions révolutionnaires se sont inclinées devant ce cercueil. Du pape Pie IX au général Garibaldi, il n’y a eu dans la péninsule qu’un même sentiment de douleur et de tristesse.

Ce singulier concert de regrets s’explique par les vertus du prince et les qualités de l’homme, par sa droiture, sa générosité, son affabilité, par son esprit de modération et de conciliation. Amis et adversaires du roi ont senti qu’ils n’avaient qu’à perdre à la disparition d’un tel souverain. Toutes ces qualités personnelles n’ont cependant été ni le seul ni le principal motif du deuil public. C’est moins l’homme, c’est moins le roi lui-même que l’Italie a ainsi pleuré, que l’émancipateur national, que le restaurateur du nom italien. Pour ceux qui comme nous se sont trouvés en Italie aux deux époques, l’enthousiasme général pour le monarque défunt rappelait manifestement l’enthousiasme pour le roi galant-homme, dans les années libératrices de 1859 et 1860. Aussi n’est-il pas surprenant que les funérailles de Victor-Emmanuel aient pris une apparence de fête nationale ; c’était en réalité la dernière fête, la dernière ovation que l’Italie donnait à son fondateur. Les fleurs et les couronnes pleuvaient sur le char funèbre, ainsi que jadis sur le cheval ou la voiture qui portait le souverain à son entrée dans les villes annexées. Un journal de Rome a dit que, pour l’Italie, ce deuil était un nouveau plébiscite qui, sur la tombe du défunt, consacrait son œuvre. Cela est vrai ; c’est son indépendance, c’est son unité recouvrée, que l’Italie fêtait dans cette