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Napoléon III qui ont fait l’unité de l’Italie. C’est là une erreur ou une confusion. La France a le droit de se vanter d’avoir fait l’indépendance et non l’unité italienne. Vis-à-vis de l’unité, le gouvernement français n’a eu qu’une conduite passive, il s’est contenté de ne s’y point opposer, et il n’y pouvait faire obstacle qu’en détruisant lui-même l’œuvre de Magenta et de Solferino, en envoyant ses troupes rétablir dans leurs capitales en révolte les petits princes dépossédés, c’est-à-dire en reprenant à son compte le rôle ingrat de l’Autriche. Si la France a de sa main accru l’impulsion du mouvement unitaire, c’est à Villafranca, c’est en s’arrêtant devant le quadrilatère et devant l’attitude hostile de l’Allemagne. Le traité de Zurich, qui prétendait entraver l’unité, ne devait faire que la précipiter, car en présence de l’Autriche campée dans les places fortes de la Haute-Italie, l’unité ne pouvait manquer d’apparaître à tous les Italiens comme la seule chance de maintenir et d’achever leur incomplète indépendance.

S’ensuit-il que sans l’origine et l’éducation à demi italiennes de Napoléon III, sans le besoin du second empire de dériver à l’extérieur les instincts libéraux de la France, l’Italie fût demeurée indéfiniment soumise à l’étranger, indéfiniment morcelée ? Pour ma part, je ne saurais le croire. L’Italie était mûre pour l’indépendance et la vie nationale ; l’histoire, qui est fertile en expédiens, aurait certainement trouvé d’autres moyens d’atteindre au but marqué par la nature et la civilisation. Le moment seul eût pu différer, et encore n’eût-il probablement pas été longtemps retardé. Le rôle que nous avons rempli en 1859 n’aurait-il jamais pu être joué par d’autres avec un égal succès ? L’allié dont il avait besoin pour chasser l’Autriche, le Piémont n’eût-il pu le découvrir ailleurs qu’aux Tuileries ? Il me semble qu’il n’y a pas besoin de beaucoup chercher pour reconnaître que devant elle l’Italie avait deux voies ouvertes, deux alliances possibles. Privée de l’appui de la France, la Sardaigne eût tourné ses regards vers le nord ; tôt ou tard, elle eût reçu de Berlin des encouragemens, des secours. L’alliance de la Prusse lui eût un jour donné Milan, comme en 1866 elle lui a valu Venise. Dès 1848, les esprits les plus clairvoyans de l’Allemagne commençaient à pressentir le parti que la Prusse et l’unité allemande pouvaient tirer du Piémont et de la révolution italienne. Dès 1859, plusieurs écrivains, tels que le socialiste Lassalle, proclamaient hautement la solidarité de la Prusse et du Piémont[1]. La connexité des intérêts de deux états ayant à repousser l’Autriche,

  1. Pour Lassalle, voyez par exemple le très intéressant ouvrage où un écrivain danois, M. G. Brandes, a représenté le jeune socialiste comme un des initiateurs de l’Allemagne nouvelle et des précurseurs de M. de Bismarck. — Ferdin. Lassalle (ouvrage traduit du danois en allemand) ; Berlin, 1877.