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se jetterait d’elle-même aux pieds du roi de Piémont. Grâce à Victor-Emmanuel, l’unité italienne devait se faire d’une manière unique dans l’histoire, par une impulsion soudaine, par une sorte d’attraction magnétique à laquelle aucune province ne saurait résister.


II

« Vous avez pris un chemin bien long pour arriver en Lombardie, » disait après le siège de Sébastopol un officier russe à un officier sarde. Rien en effet ne semblait plus étranger aux intérêts et au but du petit Piémont que la guerre de Crimée. On ne saurait à ce sujet trop admirer la lointaine prévoyance de Victor-Emmanuel, de Cavour et du parlement de Turin. Les vaines tentatives de 1848 et de 1849 avaient montré que les efforts décousus d’une Italie morcelée étaient incapables de rejeter l’Autriche au-delà des Alpes. Pour accomplir sa mission, il fallait au Piémont des sympathies et une alliance : c’est ce qu’il allait chercher sur les arides plateaux de la Tauride. La guerre de Crimée était la clé qui devait ouvrir à l’Italie les conseils de l’Europe.

Cinq ans après Novare, les trois couleurs italiennes se déployaient de nouveau sur les champs de bataille, et cette fois, comme sous Napoléon Ier, les Italiens combattaient à côté des Français. Les regards de la péninsule étaient fixés sur le corps expéditionnaire du général La Marmora. Dans nombre de villes et de familles étrangères au Piémont, la bataille de la Tchernaïa, où les Piémontais avaient pris part, fut fêtée comme une victoire nationale. La guerre terminée, le Piémont, comme belligérant, entrait au congrès de Paris, le petit royaume de cinq millions d’âmes siégeait à côté des cinq grands états. En s’immisçant ainsi dans la plus délicate et la plus compliquée des affaires européennes, le Piémont avait ouvert d’avance au futur royaume italien l’accès des conférences et des congrès de l’Europe ; avant même que l’Italie fût faite, Victor-Emmanuel et Cavour lui avaient assuré une place parmi les grandes puissances. Au congrès de Paris, c’était déjà la péninsule, plutôt que le royaume de Sardaigne, qui parlait par la bouche de Cavour. Le Piémont savait se faire admettre comme le représentant naturel d’une nation officiellement privée de voix et coexistence. Pour la première fois la question italienne était solennellement posée dans un congrès au nom de l’Italie. Quelques années après la défaite de Charles-Albert, Victor-Emmanuel proclamait les revendications nationales, en face même de l’Autriche, avec la double sympathie de ses alliés de Crimée et de son adversaire de la veille, irrité de l’hostile neutralité de la cour de Vienne pendant