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C’est le soir de la bataille de Novare, au milieu du désordre et des angoisses de la défaite, que l’abdication de Charles-Albert laissait à Victor-Emmanuel la couronne de Sardaigne. Certes les débuts du nouveau règne ne promettaient guère ; la raison même semblait condamner le successeur de Charles-Albert à renoncer pour jamais aux dangereux rêves de son père. Le Piémont n’avait plus ni armée ni argent ; épuisé par deux campagnes inégales, le petit royaume succombait sous une tâche manifestement trop lourde pour sa faiblesse. Le nouveau roi n’avait ni prestige ni popularité. Les anciennes défiances s’étaient réveillées avec la défaite ; les bruits de trahison remplissaient l’armée et le peuple, les partis s’agitaient dans le parlement, Gênes s’insurgeait contre une paix attribuée à une lâche défection. Telle était pour la maison de Savoie la première récompense de son dévoûment à la cause nationale. Charles-Albert, détrôné, s’en allait en exil mourir à Porto pour expier le crime le moins pardonné de la destinée, le crime des trop hautes espérances ou des trop vastes ambitions.

Un pareil exemple et un pareil début étaient peu encourageans pour le jeune roi. Ce qui fit la fortune de Victor-Emmanuel, c’est, au milieu d’un tel désastre, de ne s’être laissé aller ni à l’abattement ni aux tentations de réaction politique. Ces tristes mois de 1849 sont peut-être l’époque la plus honorable de cette noble carrière, et le mérite en revient tout entier à Victor-Emmanuel. Il ne manquait pas de gens autour de lui, dans sa propre famille même, qui lui conseillaient de revenir à la vieille politique et aux anciens usages de sa maison, qui lui conseillaient de profiter de Novare et des victoires de l’Autriche pour retirer le statut accordé en 1848, et se venger de l’ingratitude des libéraux en leur reprenant les libertés octroyées par Charles-Albert. Victor-Emmanuel ne voulut point démentir la parole de son père. De la part du jeune souverain, cette loyauté, que les agitations du pays faisaient paraître excessive, se trouva être un trait de la plus habile politique.

L’on raconte qu’après Novare, dans l’entrevue qu’il eut avec le nouveau roi, Radetzki lui offrit des conditions plus douces, s’il consentait à déchirer le statut et à rejeter le drapeau tricolore. Plus clairvoyant que certains courtisans de Turin, le vieux feld-maréchal comprenait que là était la force du Piémont, là était le double aimant qui lui devait attirer les sympathies de la péninsule. Victor-Emmanuel resta sourd aux injonctions du vainqueur et même, dit-on, aux prières de sa mère et de sa femme, toutes deux Autrichiennes ; il refusa de reprendre la bannière bleue des ses ancêtres, il refusa de redevenir roi absolu. A l’heure où tous les princes