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grand homme, et il a montré qu’on peut sans cela faire de grandes choses. Sans rien avoir d’extraordinaire dans l’esprit, le dernier roi du Piémont a su rester toujours à la hauteur de la tâche qui lui était dévolue, à la hauteur des événemens qui se sont accomplis sous son règne et en son nom. Pour peu que l’on réfléchisse à l’inattendu, au merveilleux des destinées qui l’ont successivement porté de Turin à Milan, à Florence, à Naples, à Palerme, à Venise, à Rome, ce n’est point là un mince mérite. Victor-Emmanuel avait reçu des circonstances un des rôles les plus complexes, les plus difficiles, que l’histoire ait jamais confiés à un homme et surtout à un roi ; il l’a joué avec une conviction, avec un entrain et une bonne humeur qui en ont assuré le succès. Ce qui fera l’intérêt singulier de ce règne de moins de trente ans, c’est que les prodigieux succès n’en ont été dus ni à un génie exceptionnel, ni à des armées irrésistibles, encore moins à l’aveugle caprice du sort. L’Italie a dû son incroyable fortune à des qualités plus humbles, plus modestes, plus à la portée de tous, et par là même plus dignes d’étude et d’admiration ; l’Italie de Victor-Emmanuel a dû sa renaissance nationale à la persévérance, à la patience, au bon sens, à l’esprit de suite, en un mot au caractère et à la politique. Par là l’histoire contemporaine de la péninsule donne aux hommes d’état une grande leçon et aux peuples injustement malheureux un encourageant exemple. Une grande œuvre menée à bonne fin avec de petits moyens, par des mains semblables à celles de tous, c’est là pour les nations comme pour les individus le spectacle le plus sain et le plus fortifiant.

Jamais peut-être le point de départ n’a été aussi loin du but atteint. Tout semblait d’abord contre Victor-Emmanuel et contre l’Italie. Rien n’annonçait les prochaines merveilles de ce règne ; le prophète qui les eût prédites n’eût pu obtenir créance des patriotes les plus enthousiastes. Les ressources matérielles faisaient défaut ou étaient hors de proportion avec la tâche à remplir. La force morale, d’ordinaire la principale force d’un petit état, ne paraissait guère plus à la portée du Piémont et de Victor-Emmanuel. Sans appui en Europe, le faible royaume de Sardaigne était sans prestige en Italie. A la maison de Savoie manquait jusqu’au levier habituel de toutes les révolutions, la confiance populaire.

Loin d’être en naissant l’objet prédestiné des espérances nationales, le futur unificateur de l’Italie fut pendant une partie de sa jeunesse l’objet des défiances italiennes. Sa mère, princesse de Toscane, était une archiduchesse d’Autriche ; son père, Charles-Albert, était traité de renégat par les patriotes, depuis que, pour se faire pardonner d’anciennes relations avec les carbonari ou les libéraux italiens, il avait pris part à l’expédition du duc d’Angoulême contre les libéraux espagnols. C’était le temps où les poètes les