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principale cause de la dépréciation du prix des bois ; et si, faute d’accès pour enlever les arbres du milieu des massifs, on est obligé de les laisser périr sur pied, ou de les débiter en chauffage au lieu d’en tirer des bois de service, il en résulte un préjudice pour la société non moins que pour le trésor public. Chaque route que l’on ouvre dans les forêts qui en sont dépourvues élargit le marché et provoque le plus souvent une hausse dans les prix, qui au bout de très peu d’années rembourse le sacrifice qu’on a fait. Les exemples ne sont pas rares où la plus-value obtenue dans la vente des bois représente un placement à plus de dix pour cent du capital employé à ces travaux. On pourrait même citer des cas, notamment dans l’Aude, où le placement s’est élevé à plus de 25 pour 100. Si donc le gouvernement n’hésite pas à dépenser des milliards pour racheter certaines lignes de chemins de fer, peut-être jugera-t-il qu’il conviendrait de traiter les forêts avec moins de parcimonie, et que ce ne serait pas faire une mauvaise spéculation que de consacrer chaque année quelques millions à l’ouverture et à l’entretien des routes forestières[1].

Il est une autre catégorie de travaux qui ne mérite pas moins son attention, c’est celle du reboisement des montagnes. On se rappelle que sur l’initiative de M. de Forcade la Roquette, directeur-général des forêts, le gouvernement d’alors proposa en 1860 et fit adopter par le corps législatif une loi en vertu de laquelle l’administration forestière était chargée de déterminer les terrains qu’il importait de reboiser, et de faire exécuter ces travaux soit d’office dans certains cas déterminés, soit au moyen de primes offertes aux particuliers. Le but qu’on avait en vue était d’arriver à l’extinction des torrens qui désolent nos départemens méridionaux, à la régularisation du régime des eaux et à la diminution des ravages occasionnés périodiquement par les inondations[2]. Une somme de dix millions fut consacrée, à raison d’un million par an, à cette grande opération. Malgré des tâtonnemens inévitables, malgré la résistance que l’on rencontra de la part des populations pastorales, l’œuvre entreprise a déjà donné des résultats remarquables et sur bien des points arrêté complètement les dévastations des torrens. Si elle n’a

  1. Dans la forêt de Gérardmer (Vosges), 60 kilomètres de chemins en terrain naturel, ayant coûté 160,000 francs, ont eu pour effet d’augmenter le revenu annuel de 130,000 francs. Dans l’Aude et les Pyrénées orientales, une dépense de 650,000 francs consacrée à l’établissement de 180 kilomètres de routes a fait réaliser à l’état une plus-value annuelle de 100,000 francs. Le réseau total des routes dans les forêts de l’état est de 4,800 kilomètres. On estime que pour les terminer, il faudrait en construire encore 3,300, qui coûteront environ 13 millions.
  2. Voyez notre étude sur le Reboisement des montagnes et le régime des eaux, dans la Revue du 1er février 1859.