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On l’a bien vu lorsqu’il s’est agi de la suppression des sous-préfets, réclamée par tant de bons esprits, et des modifications à introduire dans notre organisation militaire. Ce serait là cependant une œuvre digne d’un gouvernement républicain qui se pique de n’avoir en vue que l’intérêt public ; car, si ce régime est moins apte qu’une monarchie absolue à supprimer les abus, on ne sait vraiment pourquoi on le préférerait à celle-ci, et, comme le dit un refrain connu, pourquoi on a pris la peine de changer de gouvernement. Pour atteindre ce but, si tant est qu’on l’ait en vue, il importe donc d’abord de choisir les fonctionnaires en dehors de toute considération politique, et de leur donner des garanties qui leur permettent de faire leur devoir sans avoir à craindre d’encourir aucune disgrâce ; il faut ensuite leur laisser toute la responsabilité de leurs actes.

Ce qui caractérise en France l’organisation administrative, c’est à la fois la défiance à l’égard des fonctionnaires et l’absence de responsabilité de la part de ceux-ci. Ces deux caractères, qui semblent contradictoires, sont au contraire la conséquence l’un de l’autre. C’est par défiance qu’on enlève tout pouvoir aux agens d’exécution, qu’on ne les laisse jamais libres de prendre aucune détermination personnelle, et qu’on les oblige à obéir aveuglément aux ordres de leurs chefs ; mais par cela même on les met à couvert et on leur enlève toute responsabilité. Le plus souvent les agens actifs des divers services n’ont pas d’autorité effective ; ils sont chargés d’instruire les questions et d’élaborer les rapports sur lesquels statue l’administration supérieure, dont ils n’ont qu’à exécuter les ordres ; mais il ne peuvent jamais rien décider par eux-mêmes. Il en résulte beaucoup de paperasserie, bien des lenteurs dans l’expédition des affaires, et avec cela une absence complète de contrôle matériel ; car, pour ce qui concerne le maniement des fonds, le contrôle est surabondant. Ainsi, un ingénieur pourra recevoir des matériaux de qualité inférieure, un agent forestier exécuter des plantations dans de mauvaises conditions ; mais dans aucun cas ils ne pourront détourner les sommes qui leur ont été allouées pour leurs travaux. Les états d’émargemens constatent que, jusqu’au dernier centime, les dépenses ont été réellement effectuées et l’argent remis entre les mains de ceux qui devaient le recevoir ; mais ce qu’ils ne disent pas, c’est que cette dépense a été utile et n’a pas été faite en pure perte.

A certains égards, cette centralisation présente quelques avantages que M. Vivien a eu soin de signaler dans ses Études administratives. Ainsi, elle donne une grande homogénéité aux principes qui dirigent les agens d’exécution, elle permet dans les questions d’affaires, sinon dans les questions de personnes, de