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primitif (Urgeist) ou Kneph ; — la Matière primitive (Urstoff) ou Neith ; — le Temps primitif (Urzeit) ou Zevech, — et l’Espace primitif (Urraum) ou Pascht. Cette conception flotte, dit l’auteur, entre une véritable unité et une collection. De ces quatre divinités, deux sont mâles, deux sont femelles. Les deux mâles sont Kneph et Zevech, l’Esprit, le Temps ; deux sont femelles, Neith et Pascht, la Matière et l’Espace. De là deux dualités ou deux couples : l’Esprit et la Matière, le Temps et l’Espace.

Le premier de ces quatre termes est l’Esprit, que l’on appelle quelquefois Amoun Kneph (le Caché-Esprit), et il se confond presque avec la divinité primitive. Il ne faut pas s’attendre à trouver sous ce mot esprit la notion abstraite et spéculative de la métaphysique ultérieure : c’est toujours plus ou moins sous la forme du souffle qu’on se le représente, et la racine Kneph, comme le grec ψυχή, signifie le souffle du vent : c’est l’Éther des Grecs. Si l’esprit n’est pas le pur esprit, la matière n’est pas non plus la pure matière, c’est-à-dire une masse inerte et morte, telle que l’entend le mécanisme moderne. Elle a pour symbole l’eau, elle est le principe de toutes choses et est la source de toutes choses, suivant cette inscription de Laïs : « Je suis tout ce qui a été, tout ce qui est et tout ce qui sera. » On l’appelle aussi la grande mère, la mère des dieux. Au reste, M. Röth a soin de nous avertir qu’il ne faut pas se représenter ces divinités à la manière grecque, comme des personnes individuelles, qu’il faut se débarrasser de toute idée d’anthropomorphisme : ce sont, non des personnes, mais des choses.

À ces deux grandes puissances viennent s’en ajouter deux autres, le Temps et l’Espace : le Temps infini, Zevech, le Chronos des Grecs, est le principe d’où tout naît, mais aussi où tout rentre en se dissolvant. Il est, à cause de cela, considéré comme le principe de toute destruction et de tout mal dans la nature : ainsi le mal avait son origine dans la divinité même comme principe indifférent au bien et au mal. Enfin l’espace infini (Pascht —Menhai) vient compléter la quaternité. On se le représentait comme obscur et on l’appelait aussi l’obscurité (Kake-Chebe). Tandis que le Temps était le principe du mal, l’espace était le principe du bien : c’est lui qui recevait dans son sein et produisait au dehors tous les fruits de la nature. M. Röth l’identifie à la fois avec le Chaos des Grecs et avec l’ἀναγκὴ, quoique ce soient deux notions bien différentes. Comment de cette divinité primitive et de ses quatre puissances coessentielles le monde venait-il à sortir ? On ne rencontre chez les Égyptiens ni l’idée de la création ex nihilo, ni l’idée de la formation du monde par un artiste. La production du monde n’est qu’un développement du principe non développé. Le monde et la divinité ne sont donc qu’une même chose.