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d’élémens immuables. De là deux hypothèses : d’une part l’hypothèse de la transformation (ἀλλοίωσις), comme ils disent, c’est-à-dire l’hypothèse d’une matière ou d’une substance unique douée de force (eau, air, feu), qui, par des alternatives de condensation et de raréfaction, devient successivement toutes choses ; le philosophe ionien Héraclite est le plus profond interprète de ce mode de penser ; — de l’autre, l’hypothèse de la combinaison ou du mélange (μῖγμα) ; ici, il n’y a plus de changemens véritables, il n’y a que des déplacemens, des changemens de rapports ; les parties constitutives ou intégrantes sont toujours les mêmes, ne sont pas susceptibles de degrés ni d’altération ; elles ont toujours les mêmes propriétés et entrent seulement dans des combinaisons différentes, et c’est la différence des combinaisons qui détermine la différence des états ; tout s’y ramène à deux principes : la séparation et la réunion (σύγκρισις et διάκρισις). Cette hypothèse a surtout son expression dans l’école d’Abdère ou atomistique, qui, sans appartenir à la philosophie ionienne, s’y rattache néanmoins, venant également d’une colonie grecque de la mer Egée.

La philosophie italique se subdivise comme la philosophie ionienne. Quand on porte ses regards sur la partie permanente et uniforme des choses, on peut être frappé en effet de deux points de vue, Les uns saisissent surtout cette permanence dans les rapports des choses : les choses sont flottantes, les phénomènes passent et coulent sous nos yeux ; mais les rapports, les proportions, les accords et les harmonies sont quelque chose d’éternel. Certains esprits sont particulièrement frappés de ces harmonies, et, si vous les supposez voués à l’étude des mathématiques et de la musique, vous ne serez pas étonnés qu’ils voient partout des accords musicaux et des rapports numériques[1]. Ils seront donc frappés du rôle que le nombre joue dans la nature ; ils ne verront plus que des nombres dans le ciel et sur la terre, et ils diront que les nombres sont les principes des choses : ce sont les pythagoriciens. Les autres, négligeant les rapports et pénétrant plus avant encore dans l’ordre des choses intelligibles, plus amoureux encore d’unité, sont frappés de ce caractère commun à toutes choses : elles sont une loi impérieuse de leur esprit leur apprend que rien ne vient de rien ; que, par cela seul que quelque chose est maintenant, quelque chose aussi a été tout à l’heure et a toujours été, en un mot que, si tout passe en apparence, il y a quelque chose qui ne passe pas, à savoir l’être. Ils diront donc que l’être existe, que l’être ne

  1. Nous ne comprenons pas bien pourquoi M. Chaignet, dans son livre stlr Pythagore, soutient contre Aristote que ce n’est pas de la musique et des mathématiques que les pythagoriciens ont été conduits à la philosophie, mais que c’est l’inverse qui a eu lieu.