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de mer, parcourait l’Océan-Pacifique dans le dessein de prendre possession d’une île. Ayant appareillé le 3 mars sur le Gange, dans la baie d’Engeli, après s’être dirigé sur les Philippines, il avait visité les archipels des Baboyanes, des Baschi, des Salomon ; il arrivait à la Nouvelle-Zélande. Jeté au sein d’une région absolument inconnue, ne va-t-il pas se livrer à une reconnaissance des côtes, étudier quelque peu le pays, s’inquiéter des mœurs et des usages des habitans ? Point ; le personnage ne songe à rien. Hautain, maladroit, brutal envers les indigènes, il laissera le souvenir d’une action indigne. Surville n’éprouva pas comme d’autres l’hostilité des insulaires ; il eut même toute facilité pour réparer les avaries survenues à son navire, et pour se procurer les rafraîchissemens dont il avait besoin. Ayant quitté son premier mouillage, il jeta l’ancre au fond de la baie, dans une crique qu’il nomma l’anse du Chevalier ; c’était en face d’un village. Il y avait des malades sur le bâtiment : une chaloupe les conduisant à terre est surprise par une tourmente et s’égare ; le chef du village recueille ces malades, les installe dans sa propre maison, les fournit de tout ce qu’il peut offrir, et, tel qu’un vrai seigneur, refuse d’accepter la moindre chose en retour de ses bons offices. Pendant la tempête, Surville avait perdu un canot à la traîne du navire ; un jour, l’apercevant échoué sur le rivage, il l’envoie chercher. On ne trouve plus le canot ; des Néo-Zélandais l’ont coulé dans une petite rivière, espérant ainsi le garder. Alors le capitaine, furieux de la perte de son embarcation, ne rêve plus que vengeance ; il descend à terre, et, voyant quelques insulaires, il les appelle. Le premier qui accourt, sans défiance, est saisi et entraîné à bord ; on s’empare d’une pirogue, on brûle les autres, ainsi que les cases du voisinage. L’homme arrêté est précisément le chef qui a secouru les malades. N’importe, M. de Surville l’emmène, quittant au plus vite la côte témoin de ses exploits[1].

Deux ans plus tard, notre pavillon se montre de nouveau en ces parages. Le capitaine de Bougainville avait ramené d’un voyage autour du monde, exécuté pendant les années 1768 et 1769, un naturel de Taïti. Le jeune insulaire, après un séjour à Paris, avait été envoyé à l’Ile de France avec ordre aux administrateurs de la colonie de faciliter son retour en sa terre natale. L’officier qui avait conduit en 1761 le père Pingre à l’île Rodrigue, Marion du Fresne, alors capitaine de brûlot, voit une occasion de se distinguer par une nouvelle campagne, et sans doute par des découvertes dans des mers encore peu fréquentées. Il offre aux administrateurs de l’Ile

  1. Le malheureux Néo-Zélandais, le chef Naginoui, ne tarda pas à mourir.