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L’exemple ne le démontra que trop tôt. Il est vrai que la révolution de février vint brutalement se jeter à la traverse ; l’émeute eut bon marché de l’entreprise, et en un rien de temps tout fut perdu fors l’honneur. Car ce brave homme de musicien engagea du coup son avenir, n’évitant un sinistre que par les plus douloureux sacrifices de fortune et des efforts de travail auxquels il devait succomber. Après lui, on eut tour à tour les deux Séveste, Edmond d’abord, puis Jules, administration laborieuse, mais qui du moins se déroula sans encombre et parmi des jours difficiles compta même plus d’un succès : la Promise de Clapisson, le Si j’étais roi ! d’Adolphe Adam, et surtout son Bijou perdu, dont Mme Cabel, arrivant de province et dans toute la fleur de sa jeunesse et de son trille, assura le sort ; si bien que lorsque mourut M. Jules Séveste, il y avait un bénéfice d’environ 70,000 francs, le fait mérite d’être constaté, et je ne pense pas qu’il se soit depuis souvent représenté. Cependant M. Émile Perrin, qui dirigeait alors l’Opéra-Comique, saisit en main le double jeu, et sa présence s’affirma tout d’abord par d’intéressantes reprises ; l’exposition de 1855 ayant ensuite porté ses fruits, et le calme plat succédant aux brises favorables, l’habile pilote s’empressa de renoncer au cabotage et très sagement revint s’enfermer dans son ancien port de l’Opéra-Comique. L’équipage, resté sans capitaine, tomba aux mains d’un certain Pellegrin, qui, battu de l’orage, n’eut même pas la chance de profiter d’une embellie. En effet, après avoir engagé Mme Carvalho pour jouer la Fanchonnette, ce M. Pellegrin dut quitter la mer pour s’en retourner non point à la place Favart, mais à Carpentras, les circonstances ne lui permettant pas d’attendre jusqu’à la représentation de la pièce destinée à sauver sa fortune et dont un autre allait tirer si grand profit : sic vos non vobis. Ce bénéficiaire s’appelait M. Carvalho.

Rien ne réussit comme le succès ; il y eut à ce moment une série incomparable : la Fanchonnette, les Dragons de Villars, la Reine Topaze, Oberon, une pluie d’or sur ce théâtre ! M. Carvalho n’est pas un de ces directeurs qui, lorsque la veine se déclare, se contentent d’en user modérément, il la pousse à l’excès, l’irrite, la talonne jusqu’à faire qu’elle se retourne à la fin contre lui et le démonte. Enivré, affolé par le succès, il rêva de spectacles inouïs, d’exécutions à confondre le grand Opéra, se dit comme le fameux surintendant : quo non ascendam. Notre Académie de musique, le Théâtre-Italien, ont besoin d’une leçon, il la leur donnera coûte que coûte, et pour monter les Noces de Figaro il engage Mlle Duprez, Mme Ugalde, triple sa dépense. Le succès sans doute ne se dément pas, mais la perte commence, car le voilà qui sème des louis pour récolter des pistoles. La mise en scène de Faust rentre dans cet ordre de spéculation. Les frais grossissent toujours, dépassant la recette ; les mauvais jours arrivent ; la faillite réclame une proie, on lui jette