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aperçoive. L’Opéra-Comique, cet avantage n’existe pas, le vif saisit à l’instant le mort et le détrône, et puis force est toujours d’en revenir à cette vérité, que la musique dépend de la mode ; plus que tous les autres arts, et, à ce titre, ne saurait réussir qu’un moment. Une forme, une veine, une seule note, une fois trouvée se copie et se répète ensuite à satiété, jusqu’à ce qu’une autre ait succédé qu’on épuise à son tour. Ce que disait Sainte-Beuve de la poésie peut se reprendre au sujet de la musique : « Une voie neuve à peine ouverte et indiquée, si étroite qu’elle soit, appelle aussitôt le troupeau des imitateurs qui foule et ravage ce qui n’était d’abord qu’un vert sentier, ce n’est bientôt plus qu’une route poudreuse ; le Lac de Lamartine a eu ses cascades à l’infini et formé quantité de petits lacs au-dessous avec des couples d’amans soupirant leurs barcarolles. »

L’extraordinaire propagande symphonique de ces derniers temps jointe à l’influence des théories wagnériennes a produit la crise où se débat aujourd’hui l’Opéra-Comique. L’ancien répertoire tend à disparaître et le nouveau tarde à se former. « Sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? » Je vois partout des musiciens qui guerroient et des orchestres qui flamboient. On s’agite, on se querelle, on perd à discuter sur la mélodie continue et les grands principe » de l’art moderne les heures qu’il serait mieux d’employer à créer cet art. Beaucoup de livres, de brochures, d’articles de journaux, mais de chefs-d’œuvre point ; d’un côté, c’est le vieil esprit français qui tient à vivre et déserte la maison-mère pour aller se giter dans des taupinières ; de l’autre, vous avez des normaliens, imperturbablement sûrs de leur fait, qui se préparent à nous donner l’opéra-comique de l’avenir en écrivant chez Pasdeloup et chez Colonne des suites d’orchestre et des oratorios mythologiques ou néo-chrétiens : Narcisse ou la Vierge Marie, ad libitum. Il était naturel qu’en présence d’une situation pareille l’état jugeât son intervention nécessaire. La complète déroute de l’administration précédente, les débuts jusqu’ici peu brillans du directeur actuel, appelaient une démonstration, et la chambre a voulu que cet acte fût tout sympathique :

J’ai demandé par où faut-il que je commence,
Et tu m’as répondu, sire, par la clémence.


Une augmentation de 120,000 francs dans la subvention est assurément plus que de la clémence, et nous n’avons encore rien dit ni des 120,000 francs de joyeux avènement qui portent à un total de 360,000 francs les subsides à percevoir pour cette année, ni des deux mois de fermeture du théâtre pendant l’été, faveur inouïe et qui équivaut à une nouvelle subvention de 150,000 francs au moins. Que serait-ce si nous interrogions le cahier des charges au chapitre du