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l’Aventurière, dona Clorinde obligée de passer la porte tête basse, et cela au moment où, pour comble de punition, elle se sent le cœur pris pour celui-là même qui lui inflige cette honte ? Quoique maître Guérin se flatte d’être en règle avec la légalité, je ne suis pas bien sûr que ses faits et gestes ne fussent pas justiciables de la chambre des notaires ; mais quel procès, quel affront, vaudraient jamais le châtiment que lui a réservé M. Augier, l’abandon de sa propre famille ? A coup sûr, s’il est un sujet qui appelât un dénoûment par le sang, c’est bien celui de la Contagion, et je crois que M. Dumas n’y aurait pas résisté ; cependant d’Estrigaud démasqué, déconfit, recevant pour coup suprême le congé final de Navarette, et se trouvant, au bout de ses intrigues immorales, tout penaud en face de lui-même, n’est-il pas autrement châtié que par le duel le plus heureux ? Et que d’autres bonnes justices du même genre, Vernouillet des Effrontés exécuté par la marquise d’Auberive, Olivier Merson de Madame Caverlet congédié avec la flétrissure de son demi-million ! Ces ingénieux dénoûmens enfin n’ont pas seulement le mérite de l’élégance dans la justice, ils ont encore celui d’être en rapport parfait avec ce genre mixte de comédie-drame en faveur aujourd’hui qui veut combiner les avantages de deux genres, car ils évitent, comme la comédie le veut, d’être sanglans, et ils sont aussi implacables que le drame peut les désirer.

Les personnages du second théâtre de M. Augier peuvent se diviser en deux groupes principaux, les aventuriers et les enrichis. Ces derniers sont plus nombreux que très variés, car M. Augier les a presque tous pris à dessein dans le genre malhonnête, afin de ramener par leur moyen une thèse de morale sociale qui a son importance et se rapporte directement à ce vigoureux sentiment de la famille qui lui a dicté ses drames contre les aventuriers. Cette thèse, c’est que la fortune acquise par l’improbité est un mauvais terrain pour édifier, et que la maison n’est pas sûre dont l’honneur ne fait pas l’assise. Pour punir ces enrichis improbes, il a eu recours à une application aussi forte qu’ingénieuse de cette justice dramatique que nous venons d’esquisser, en les frappant par la famille même qu’il les montre impuissans à fonder, en les faisant juger en face, condamner et rappeler à l’honneur par leurs propres enfans. Le bonheur de sa fille est l’unique souci du bonhomme Roussel de Ceinture dorée ; cependant, malgré sa colossale fortune, il sent peser sur son enfant la malédiction de la mauvaise renommée qu’il s’est acquise, et, perdant la tête sous le coup de cette inquiétude incessante, il s’en va la proposant pour ainsi dire de porte en porte. Un galant homme, que sa fille aime et dont elle est aimée, n’a-t-il pas eu malgré cette passion mutuelle la cruelle délicatesse de repousser formellement les offres d’alliance qu’il lui