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personnages à un diapason plus élevé que l’ordinaire, et que leurs sentimens exigent par conséquent une résonnance plus forte que celle que la prose pourrait leur donner.

La Jeunesse et Paul Forestier appartiennent à la seconde période de M. Augier ; mais, comme elles sont écrites en vers, elles nous serviront de transition pour passer du poète, qu’il fut longtemps exclusivement, au dramaturge réaliste, qu’il est devenu et qu’il est resté. La Jeunesse, représentée en 1858, se rapporte, comme Gabrielle, à une situation particulière qui a bien pu se modifier dans ses circonstances transitoires, mais qui touche tellement aux conditions fondamentales de la société contemporaine qu’elle subsiste, à quelques détails près, aussi entière aujourd’hui qu’il y a vingt ans, en, sorte que le sujet traité par cette pièce est toujours d’actualité. En vérité, nous serions presque tenté de dire de la jeunesse au XIXe siècle ce que disait de l’église et de l’état un illustre penseur anglais contemporain un jour qu’on parlait devant lui de je ne sais quelle mesure politique qui pourrait les mettre en péril : « Bah ! depuis que j’existe, j’ai vu l’état en danger je ne sais combien de fois, et, quant à l’église, je ne l’ai jamais vue une seule minute hors de danger. » Nous aussi, depuis que nous existons, nous entendons dire que la jeunesse n’existe plus. Il n’y a plus de jeunes gens, disait-on déjà à la fin du règne de Louis-Philippe, et on accusait volontiers de ce fait les doctrinaires, qui, paraît-il, les avaient tous transformés en pédans. A l’époque où fut représentée la Jeunesse, le second empire semblait solidement établi par huit années d’énergique compression, et les opposans, déconcertés de ne pas rencontrer plus d’échos à leurs mécontentemens, allaient répétant à leur tour qu’il n’y avait plus de jeunes gens. On les accusait de renier les sentimens de leur âge, de ne plus faire montre de passions généreuses, de manquer d’idéal. M. Augier recueillit en partie ces plaintes, mais, en bon esprit qu’il est, il se garda de leur donner raison sans réserve, chercha la cause des reproches plus ou moins fondés qu’on adressait à la jeunesse, et la trouva dans la prédominance tyrannique des intérêts matériels. Le grand mouvement d’affaires lancé par le coup d’état de décembre avait atteint alors son apogée ; il était à la veille de baisser, il est vrai, avec la guerre d’Italie et ses conséquences, mais nul ne s’en doutait encore, et les préoccupations des intérêts matériels absorbaient seules les esprits. La Jeunesse répondait donc à un sentiment général. C’était à peu près l’époque où Alexandre Dumas portait ces mêmes préoccupations au théâtre dans sa comédie de la Question d’argent, et nous conservons encore le souvenir d’une audacieuse brochure intitulée l’Argent, par laquelle un des acteurs principaux de la future