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l’armée du duc d’Angoulême, il se trouvait à Uzès dans le courant de juillet et prit une part active aux premières exactions dont cette ville fut témoin, après la seconde rentrée du roi, comme aux crimes qui l’ensanglantèrent en août et qui eurent un caractère plus odieux encore que ceux de Nîmes. « Ce fut pour l’exécution, a dit un témoin, le personnage le plus marquant dans l’histoire de nos malheurs. Chef de ces brigands audacieux qu’aucun frein n’arrêtait, dont la présence était le signal du carnage, de la dévastation et de la mort, catholiques et protestans furent également victimes de sa férocité[1]. » Il se contenta d’abord de s’associer aux malfaiteurs qui pillèrent en moins de dix jours trente-six maisons ; puis il prit goût à ce métier lucratif. Dans la journée du 3 août, au milieu de troubles qui précédaient une nuit tristement mémorable, laquelle apparaît à trois siècles de distance comme une réduction de la Saint-Barthélémy, on vit Jean Graffand, suivi de quelques individus armés, dociles à ses ordres, violant le domicile de plusieurs citoyens, y prenant de force des objets à son gré, exigeant de ses victimes des sommes qui variaient de 50 francs à 2,000 francs, procédant à des arrestations arbitraires, tirant sur un individu qui lui échappait, lui criant : « Coquin, tu n’auras rien perdu pour attendre[2], » bravant le sous-préfet, le maire, le commandant de place, tous les fonctionnaires affolés par la peur, et ameutant la populace contre les citoyens qui avaient manifesté quelque sympathie pour le gouvernement impérial. Enfin une femme à laquelle il voulait extorquer une somme considérable trouva moyen de se dérober à sa surveillance, tandis qu’il dévastait sa demeure, courut à la mairie, réclama du secours et fit rougir de leur faiblesse les autorités, qui se décidèrent à agir. Un adjudant-major de la garde nationale arrêta Jean Graffand et le conduisit à la maison d’arrêt, déjà remplie de prisonniers, paysans des environs ou habitans de la ville, détenus depuis quelques jours par le parti vainqueur, à la suite des rassemblemens de la Gardonnenque. Mais, dès que la nouvelle de cette arrestation fut connue dans Uzès, une foule furieuse se porta devant la mairie et devant la prison, réclamant Graffand à grands cris, exigeant sa mise en liberté. Le maire s’y refusa d’abord ; puis, le tumulte grossissant, il céda, à la condition que le prisonnier serait conduit à la caserne et y resterait sous la surveillance du peuple. On feignit d’accéder à cette condition et d’enfermer Graffand ; mais au bout de quelques instans, il fut mis en liberté et put reprendre la série de ses méfaits, qui ne faisait que commencer quand on l’avait interrompue.

Il était environ huit heures du soir. Les passions, surexcitées par

  1. Documens judiciaires. Archives de la cour de Riom.
  2. Documens judiciaires.