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compagnon de Bouvillon, retraité depuis l’an IX[1], fut tué au moment où il sortait de la ville. L’auteur du meurtre demeura inconnu ; toutefois, il est permis de croire que ni Truphémy ni Trestaillons n’y furent étrangers, car ils chassèrent de chez elle la veuve Saussine, et le second installa sa sœur dans le logement devenu vacant. Cinq autres individus, cultivateurs et ouvriers, périrent le même jour[2]victimes de vengeances analogues, sans qu’aucune poursuite vînt mettre un terme à l’effusion du sang et arrêter l’œuvre des criminels.

Cette inertie ne peut s’expliquer que par la terreur qui pesait sur la ville et dont, en l’absence du préfet, les autorités ressentaient les effets. Ce qui le démontre, c’est que le 19 août, au moment même où le marquis d’Arbaud de Jouques, revenu de Toulouse, prenait définitivement possession de la préfecture, et cette fois avec, le concours dévoué de MM. De Berniset de Calvières, dix personnes furent encore assassinées dans les faubourgs, les unes à coups de fusil, les autres à coups de sabre. Dans le nombre se trouvaient deux femmes[3], que la rumeur publique accusait d’avoir dénoncé des royalistes pendant les Cent jours. Des paysans envahirent leur domicile dans la nuit. L’une d’elles s’empara d’un pistolet et les menaça. Elle fut tuée d’un coup de sabre, et comme l’autre injuriait les assassins, ils la frappèrent aussi.

Les crimes de cette nuit, contre lesquels protestèrent les officiers de la garde nationale et dont ils s’efforcèrent d’empêcher le retour, non en recherchant les coupables, mais en faisant eux-mêmes des rondes durant les nuits suivantes, eurent par toute la France un profond retentissement. Ce qui les caractérisait, c’est qu’ils avaient été commis à la veille des élections, comme si les royalistes, redoutant des candidatures rivales, eussent voulu éloigner, par la terreur, les électeurs protestans. Le 23 octobre suivant, M. Voyer d’Argenson dénonçait à la chambre introuvable ce qu’il appelait le massacre des protestans du Midi. Plus tard, le 20 mars 1819, M. de Saint-Aulaire prétendit que les élections du Gard, en 1815, avaient été faites sous les poignards et qu’un grand nombre de protestans n’avaient osé voter. Enfin, en 1820, dans une pétition fameuse, M. Madier de Montjau, alors conseiller à la cour de Nîmes, faisant allusion aux mêmes événemens, accusa le parti royaliste de s’être

  1. François Saussine, ancien capitaine au 11e de ligne.
  2. Courber, Heraud, Domeson, Imbort, Leblanc.
  3. La veuve Bosc et la femme Bigot, sa sœur. Antoine Rigaud, l’ex-sergent-major Lhéritier, Dumas, ait Poujade, et cinq individus dont nous n’avons pu retrouver les noms, périrent aussi cette nuit-là. Il faut ajouter à cette liste le nom d’un ancien banquier, Affourtit, deux fois failli, dont la mort ne saurait s’expliquer par des causes politiques.