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l’assombrir, même pour exciter la légitime indignation de la postérité contre les bourreaux ou sa pitié au profit des victimes, pas plus qu’il n’était habile d’en dissimuler l’horreur pour alléger le fardeau de responsabilités qu’on ne saurait sans injustice faire peser sur le gouvernement de Louis XVIII, et qui doivent être imputées surtout aux fatales passions dont la chambre introuvable allait être l’expression constitutionnelle et reproduire, sous des formes légales, les inexorables ardeurs.

Parmi tant de scènes odieuses qui ne s’expliquent que par la fougueuse violence des imaginations méridionales, et par les ressentimens que le règne des Cent jours et les excès des vainqueurs avaient amassés dans les âmes, celles qui s’accomplirent dans le Gard peuvent être regardées comme les plus sinistres, moins encore par le caractère des actes perpétrés, qui fut là ce qu’il était ailleurs, que par le nombre des victimes, et la durée de l’épouvante qui s’était emparée de la partie saine de la population, paralysa le courage des braves gens et trouva des encouragemens inconsciens dans la faiblesse des autorités, locales. Les départemens des Bouches-du-Rhône, de Vaucluse, de la Haute-Garonne, virent une ou deux journées marquées par quelque grand crime, tel que les massacres de Marseille, le meurtre du maréchal Brune, celui du général Ramel, après lequel la loi reprit ses droits. Mais, dans le Gard, ces troubles sanglans se prolongèrent pendant plus de quatre mois, mettant en scène des personnages dont les forfaits ont rendu le nom légendaire et l’ont marqué d’une flétrissure éternelle. Pour les arrêter, il fallut le concours des troupes étrangères qui occupaient le territoire français.

Quoique déjà lointains, ces événemens, que les historiens de la restauration n’ont pu considérer qu’au titre d’épisodes secondaires perdus dans les événemens d’ordre général et auxquels ils n’ont consacré que d’incomplètes et souvent inexactes notices, sont dignes cependant d’être mieux connus qu’ils ne l’ont été jusqu’ici. Les pages qu’on va lire les éclaireront d’une lumière nouvelle. Elles ont été écrites après de longues et minutieuses recherches, à l’aide des récits et des polémiques du temps, à l’aide aussi de témoignages recueillis sur les lieux et de souvenirs de famille, rectifiés dans ce qu’ils avaient d’inexact ou d’obscur, par les nombreux documens politiques, administratifs, judiciaires, enfouis jusqu’à ce jour dans nos annales nationales et départementales. Ce n’est peut-être pas encore toute la vérité, ce n’est du moins que la vérité, — la vérité présentée pour la première fois dans un tableau d’ensemble et dégagée de tout esprit de parti.