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dans les transactions commerciales devint une cause de violences ; un des Néo-Zélandais partit frappé d’une volée de petit plomb sans que ses compagnons s’inquiétassent de son sort, Cook tenait pourtant à éviter les conflits ; il désirait demeurer quelques jours dans l’endroit afin d’observer un passage de Mercure sur le disque du soleil. Après avoir exploré le fond de la baie, il fit jeter l’ancre devant l’embouchure d’une petite rivière que les canots peuvent remonter même à marée basse. On noua de bonnes relations avec les indigènes ; parmi eux se distinguait un vieillard à l’air digne dont les procédés furent exemplaires ; on le gratifia d’une pièce d’étoffe et de quelques beaux clous. Il pleut souvent à la Nouvelle-Zélande, et l’on avait de mauvais jours au mois de novembre, qui répond à notre mois de mai. La contrée manquait d’agrément ; si de grandes fougères s’épanouissaient sur les sommets des collines, presque par tout ailleurs le sol était nu ; point de culture, point d’habitations. Les indigènes viennent de loin dans la baie pour la pêche et pour la récolte des mollusques qui abondent près du rivage ainsi que l’attestaient d’énormes monceaux de coquilles plus ou moins anciennes.

Les naturalistes Banks et Solander se procuraient une ample moisson de plantes inconnues ; attardés par l’intéressante recherche, ils purent voir de quelle façon les pêcheurs passent la nuit. Les pauvres nomades n’avaient point d’abris ; profitant de quelques buissons, ils s’étendaient en demi-cercle, gardant les armes à portée de la main ; les femmes et les enfans se groupaient au centre. Dans la matinée du 9 novembre, le commandant de l’Endeavour descendit à terre en compagnie de l’astronome M. Green et du docteur Solander pour l’observation du passage de Mercure. Le ciel, au matin charge d’épais nuages, s’était merveilleusement rasséréné ; le succès fut complet. Dans l’après-midi, un coup de canon tiré du vaisseau inquiéta le chef de l’expédition. Une scène avait eu lieu : les naturels venus en grand nombre sur le navire, armés de piques, de dards et de casse-tête, s’étaient mis à trafiquer. Un sauvage, ayant reçu la pièce d’étoffe désirée, refusait de livrer l’objet d’échangé et narguait le lieutenant ; on le tua. Ses compagnons, après s’être retirés, menaçaient d’une attaque ; le projet avait été déconcerté par le coup de canon. Au retour, les Néo-Zélandais ne cherchèrent point à se venger sur les Anglais qui se trouvaient à terre. Un peu avant le coucher du soleil, on les vit prendre leur repas, qui se composait de poissons de diverses sortes, de langoustes et de quelques oiseaux. Près de l’assemblée se tenait assise à terre une femme pleurant et répétant des paroles que Tupia ne parvint point à comprendre. A la fin de chaque sentence, la malheureuse se tailladait avec une coquille les bras, le visage, la poitrine ; le sang ruisselait.