Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 26.djvu/568

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

instant de remarquer certains détails qui par eux-mêmes n’attirent guère l’attention et qui ont cependant la plus grande importance. Au premier abord, tout se ressemble, et rien ne frappe. On parcourt d’étroites galeries souterraines où l’on a peine à passer deux de front ; on longe des murs percés de niches parallèles, assez semblables à de grands tiroirs placés les uns sur les autres, qui servaient aux sépultures. Quand on y avait déposé le cadavre, l’ouverture était fermée par des briques sur lesquelles on inscrivait d’ordinaire le nom du défunt, son âge, et la date de ses obsèques. Presque toutes ces briques se sont détachées, et l’on aperçoit librement aujourd’hui au fond de ces niches ouvertes le petit amas de poussière que laisse après quinze siècles un corps décomposé. De temps en temps, on rencontre sur sa route des chambres plus vastes et plus ornées pour les morts d’importance ; elles contiennent d’ordinaire des peintures presque effacées dont on a grand’peine à saisir quelques détails à la lueur douteuse des cerrini, et qui paraissent, quand on les regarde un peu vite, se ressembler beaucoup entre elles. Les galeries se coupent à angle droit ; elles s’enchevêtrent les unes dans les autres et forment un dédale de places et de rues où il n’est pas possible de se reconnaître. Lorsqu’on a fini de parcourir un étage, des escaliers conduisent à l’étage inférieur, où l’on retrouve le spectacle qu’on vient de quitter, avec cette différence que l’obscurité redouble, que la respiration devient plus pénible et que le cœur se serre de plus en plus à mesure qu’on s’enfonce dans la terre et qu’on s’éloigne davantage de l’air et du jour.

Il est pourtant difficile, quand la visite se prolonge, qu’on ne soit pas très frappé de l’immensité même de ces nécropoles. Ces étages superposés, ces galeries qui s’ajoutent sans cesse les unes aux autres, ces sépultures qui se pressent de plus en plus le long des murailles, sont une image saisissante de la rapidité avec laquelle le christianisme s’est propagé à Rome. Les premiers qui enterrèrent leurs morts aux catacombes ne paraissent pas s’être attendus à des progrès si rapides. Ils se contentaient de creuser quelques galeries à fleur de terre et les encombraient de vastes sarcophages déposés contre le mur. Mais bientôt, le nombre des fidèles augmentant toujours, celui des morts devint trop considérable pour qu’on pût ainsi prendre ses aises. On s’est souvent demandé s’il n’y a pas beaucoup d’exagération dans ces passages où les pères de l’église nous dépeignent le développement merveilleux du christianisme, où ils nous le montrent dès la fin du second siècle remplissant « les cités, les îles, les châteaux, les camps, les tribus, les palais, le sénat, le forum, et ne laissant aux païens que leurs temples. » Il faut avouer