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force, et où les esprits éclairés n’ont rien de mieux à faire que de porter le secours de leurs lumières et de leur zèle pour aider un gouvernement de raison et de modération, pour le préserver au besoin de ses propres faiblesses. C’est à cette phase de nos affaires intérieures que répond l’évolution par laquelle les constitutionnels du sénat viennent de se séparer de la coalition semi-légitimiste, semi-bonapartiste de la droite, avec laquelle ils ont fait pendant trop longtemps, sans enthousiasme, sans grande conviction, par une sorte de point d’honneur, une campagne qui ne pouvait les conduire à rien.

Un jour ou l’autre, la scission était inévitable. C’est le destin des alliances mal conçues. Elles ne servent qu’à fausser l’action parlementaire et à créer des situations artificielles, elles sont nécessairement une duperie pour quelques-uns des alliés et elles finissent par des incompatibilités qui deviennent bientôt une rupture éclatante. La dernière élection d’un sénateur inamovible a été le prétexte de la scission, et en définitive elle n’a été que le prétexte, l’incident qui a comblé la mesure. Jusque-là il avait été convenu entre les diverses fractions de ce qu’on appelait la majorité sénatoriale, la majorité conservatrice, que chaque groupe présenterait à tour de rôle un candidat qui serait adopté et nommé par les autres groupes de la coalition. Les constitutionnels, qui avaient il y a quelque temps poussé l’abnégation jusqu’à voter pour M. Lucien Brun, M. Chesnelong et M. Grandperret, avaient bien le droit de compter sur quelque réciprocité le jour où la désignation leur appartenait. Ils avaient choisi comme candidat pour la dernière élection M. le duc Decazes. Dans trois scrutins successifs, à quelques jours d’intervalle, plusieurs membres de l’extrême droite ont obstinément refusé leurs voix a l’ancien ministre des affaires étrangères et ils ont fait manquer l’élection : ils n’ont pu pardonner au duc Decazes l’ordonnance du 5 septembre 1816 inspirée par feu son père et dirigée contre les royalistes ! S’ils ne l’ont pas dit, ils l’ont pensé. Devant une exclusion si parfaitement préméditée et si plausible, M. le duc Decazes a cru de sa dignité de retirer sa candidature, — et l’ordonnance du 5 septembre a été enfin vengée ! Les irréconciliables de l’extrême droite ont eu ce qu’ils voulaient, ils ont réussi à faire de M. Carayon-Latour un sénateur inamovible. Grand triomphe pour la légitimité et pour, M. le comté de Chambord, dont la restauration a été notablement avancée ce jour-là ! M. le duc Decazes a été exclu, M. de Carayon-Latour a été élu sénateur, — et du même coup, c’était évident, les légitimistes, de l’extrême droite achevaient de leurs propres mains la déroute de cette fragile et stérile coalition sénatoriale dont on s’est si bien servi dans une pensée de combat, sur laquelle on comptait peut-être encore pour susciter et soutenir de nouveaux conflits. Les constitutionnels, malgré leur bon caractère, ne pouvaient manifestement se résigner au