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L’ALSACE-LORRAINE.

gouvernement à sortir des difficultés sans nombre qui s’étaient accumulées sous ses pas, afin de ne point donner à penser qu’eux ou leurs électeurs acceptaient la situation que l’Alsace-Lorraine subissait malgré elle. L’accueil que ces députés avaient reçu à leur entrée au Reichstag n’avait du reste pas été de nature à les encourager à donner des conseils ni à se prêter à une collaboration qui aurait bien moins profité au pays qu’aux administrateurs responsables. — Dans cette situation, le Reichstag, imparfaitement éclairé sur l’état réel des choses en Alsace-Lorraine, n’avait plus qu’à voter de confiance, et sans pouvoir en scruter les mérites, les propositions que le gouvernement lui soumettait, ainsi que les bills d’indemnité qu’il sollicitait de lui. La nouvelle procédure n’avait donc introduit dans la marche générale des affaires qu’un peu plus de complication, sans rien changer au fond des choses ; mais si cette innovation constitutionnelle ne présentait aucune utilité réelle, elle avait, par contre, le grave inconvénient de soumettre à un débat public, auquel tout le monde était mal préparé, des détails embarrassans qui étaient restés jusque-là le secret des bureaux. L’administration avait trop à perdre au maintien d’un pareil système pour ne point s’efforcer de l’amender au plus tôt.

C’est alors que fut imaginée une combinaison très ingénieuse, dont l’idée première paraît appartenir à M. de Moeller, l’habile président supérieur d’Alsace-Lorraine. Dans le courant de 1873, le gouvernement avait fini par se décider, non sans avoir hésité longtemps, à faire procéder à la reconstitution des trois conseils-généraux de la province. Dans la presque unanimité des cantons, le choix des électeurs s’était porté sur des candidats nettement hostiles au nouveau régime. L’administration avait laissé faire, mais quelques semaines avant la convocation des assemblées ainsi reconstituées, elle rappela qu’en vertu d’une disposition d’une loi française de 1833, les nouveaux conseillers auraient à prêter, au moment de leur installation, serment de fidélité et d’obéissance à l’empereur d’Allemagne. L’effet de cette mesure fut instantané. Comme l’administration l’avait prévu et souhaité, presque tous les élus refusèrent de se soumettre à cette formalité et, déclarés démissionnaires, durent être remplacés. Ce fut le signal de l’avènement aux affaires publiques d’une classe nouvelle, non encore politiquement cataloguée, et que l’on pourrait appeler le demi-tiers-état, c’est-à-dire la menue bourgeoisie dans tout ce qu’elle recèle d’ambitions inavouées, de prétentions secrètes et de suffisante insuffisance. La plupart des candidats nouveaux, en partie déjà assermentés à d’autres titres, ne furent élus qu’à la faveur d’une abstention devenue à peu près générale et d’une série détours de scrutin qui n’aboutissaient qu’à des majorités souvent inférieures au dixième des électeurs du canton.