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regardent à l’entour ; renouvelant néanmoins la poursuite, ils brandissent la lance d’une façon menaçante. Un second coup de feu tiré haut ne les effraie plus, et comme l’un des sauvages s’apprête à darder son glaive, une balle vient le frapper en pleine poitrine. Au moment où il tomba, ses trois compagnons demeurèrent quelques minutes immobiles, plongés dans la stupeur ; renonçant à emporter le cadavre, ils s’enfuirent.

Inquiets dès le premier coup de mousquet, le commandant de l’Endeavour et ses amis revenaient sur leurs pas ; ils purent considérer l’indigène tué, gisant sur le sol. Il avait d’un seul côté le visage tatoué en lignes spirales d’une régularité parfaite, les cheveux liés sur le sommet de la tête, de la manière rapportée dans la narration du voyage de Tasman ; comme vêtement, il portait un beau tissu d’une fabrication toute nouvelle pour les Européens. De retour à bord, on entendait se mêler sur le rivage des voix retentissantes. L’événement qui venait de se produire, raconté parmi les naturels, suscitait sans doute la surprise et la colère. Il était aussi difficile qu’aux jours de Tasman de nouer des relations avec les Néo-Zélandais. Cook, par bonheur, n’avait nulle disposition au découragement. Le lendemain matin, reconnaissant du vaisseau plusieurs des habitans observés la veille qui marchent d’un pas rapide vers l’endroit où l’on avait débarqué, il ordonne de mettre trois canots à la mer. Lorsqu’il saute sur la grève avec les naturalistes et un Taïtien[1], les indigènes, au nombre d’une cinquantaine, assis sur la rive opposée, paraissent attendre ; mais, en voyant approcher les étrangers, ils se sauvent, chacun maniant une longue pique ou une petite massue de jade vert. Tupia, ainsi se nommait le Taïtien, les appelle dans la langue de son pays ; les sauvages ne répondent qu’en agitant leurs armes et en faisant signe de partir. Un coup de feu est tiré à distance, la balle ricoche sur l’eau ; étonnés, les sauvages cessent les menaces. Cook s’avance de nouveau, ayant à ses côtés M. Banks, le docteur Solander, M. Green, l’astronome ; Tupia, envoyé en parlementaire, parvient à se faire, comprendre, disant qu’on désire avoir des subsistances et de l’eau eh échange d’objets en fer, dont il explique de son mieux les usages. Les indigènes se déclarent disposés au trafic, si l’on vient parmi eux ; le commandant n’exige que le dépôt des armes pour y consentir ; il les invite du reste à faire les premiers pas. A la fin, un des Néo-Zélandais se décide à traverser la rivière ; deux autres le suivent et bientôt vingt ou trente. Ils reçoivent quantité de menus présens et ne se montrent

  1. Tupia, naturel de Taïti, en son île ministre du culte, s’était beaucoup attaché aux explorateurs anglais. Ayant exprimé le désir de les suivre dans leur voyage, le commandant de l’Endeavour fut heureux d’embarquer un homme familiarisé avec la navigation autour des îles et ainsi très capable de rendre des services.