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L’ALSACE-LORRAINE.

complète transformation des programmes, l’introduction systématique de l’enseignement en allemand, la mise à l’index du français, qui n’est plus qu’exceptionnellement toléré dans les écoles (quoiqu’il n’ait cessé de régner sans partage sur les paquets d’enveloppes du tabac que le gouvernement fabrique à Strasbourg), des exigences et des entraves de toute sorte ont rendu très difficile aux parens de faire donner à leurs enfans l’éducation qu’ils estiment être la meilleure. Qu’on ajoute à cela la menace permanente de l’obligation du service militaire, qui saisit l’adolescent dès l’âge de dix-sept ans, avant même qu’il n’ait quitté les bancs du collège, et l’on comprendra pourquoi tant de familles d’Alsace et de Lorraine se résolvent, quoi qu’il leur en puisse coûter de chagrin et d’argent, à se séparer de leurs enfans pour leur faire donner en France une éducation qui ne fausse pas leur jugement en apportant dans l’enseignement de l’histoire, de la géographie et des langues modernes les préoccupations de la politique du jour.

L’université de Strasbourg fournit une démonstration tout à fait éloquente de cette dépopulation, qui n’a même pas épargné la jeunesse studieuse d’Alsace-Lorraine. Le nombre total des étudians qui fréquentent cette université flotte entre 620 et 700 par semestre. Les élèves de nationalité prussienne entrent pour près de moitié dans ce chiffre ; les autres états allemands y contribuent pour environ un quart, les nations étrangères pour à peu près autant, tandis que 80 étudians, tout au plus, sont Alsaciens ou Lorrains, — car on ne peut sérieusement compter comme tels les quinze ou vingt fils de fonctionnaires allemands qui, dans les relevés, figurent également sous cette dernière rubrique, à titre de domiciliés en Alsace-Lorraine. L’an passé, le nombre des étudians originaires du pays était descendu à 67, chiffre inférieur à ce qu’il avait jamais été (il s’est un peu relevé depuis), inférieur même à celui du semestre qui a suivi la création de cette institution, à laquelle les contribuables d’Alsace-Lorraine ont déjà fourni un contingent de plus de 8 millions de francs en cinq ans. Il y a trois ans, le Landesausschuss, préoccupé d’aviser aux moyens de recruter le plus possible les fonctionnaires de la province au sein même de la population indigène, imagina de créer un fonds à distribuer en gratifications aux jeunes Alsaciens-Lorrains étudiant le droit à Strasbourg ; mais le défaut persistant de candidats aptes à prétendre à cette faveur laisse chaque année la plus grande partie de ce fonds sans emploi. Pendant le semestre qui va finir, l’université de Strasbourg ne compte que 16 Alsaciens-Lorrains fréquentant les cours de la faculté de droit, 21 qui étudient la médecine, 13 la pharmacie, 20 inscrits à la faculté de théologie, 6 à la faculté des sciences et 6 à la faculté des lettres.