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L’ALSACE-LORRAINE.

qu’exceptionnellement que ces jeunes gens, qui ont fui leur pays pour ne point être astreints au service militaire allemand, peuvent retourner dans leurs foyers. Si des raisons de famille les y forcent, il leur faut solliciter la nationalité allemande et se soumettre d’avance à toutes les conséquences qu’elle pourra entraîner pour eux, ou s’exposer au danger d’être, selon les cas, expulsés comme optans ou enrégimentés de force comme réfractaires. Aucune de ces alternatives n’a d’attraits ; aussi la plupart se résignent-ils à ne plus revoir leur village, heureux encore si leurs parens, qui souffrent déjà assez de les savoir loin d’eux, ne sont pas accablés de menaces et d’amendes pour les contraindre à faire revenir des fils dont très souvent ils ignorent jusqu’à la résidence.

Cet état de choses lèse trop gravement les intérêts vitaux de l’Alsace-Lorraine pour que les représentans de cette province aient pu rester indifférens. La question vient d’être portée par eux devant le Reichstag dans la séance du 6 mars ; elle y a été longuement discutée. Malheureusement les déclarations faites au nom du gouvernement par M. le sous-secrétaire d’état Herzog ne permettent pas d’espérer qu’il soit apporté de sitôt un remède sérieux au mal. Ni la motion par laquelle M. Grad et ses collègues de la Lorraine et de la Haute-Alsace demandaient que les optans fussent admis à revenir dans leurs foyers sans être inquiétés, ni la proposition beaucoup plus mitigée des cinq députés autonomistes, qui se contenteraient, en cette matière, d’un peu plus d’uniformité et d’impartialité dans les décisions et les procédés de l’administration, n’ont trouvé grâce devant l’orateur du gouvernement. Aux uns, il a objecté l’intérêt de la sûreté de l’état et les principes de justice distributive ; aux autres, l’inconvenance qu’il y a de suspecter l’administration allemande de manque d’équité. Quoique le Reichstag ait fait sienne la motion des députés autonomistes, en la votant à une forte majorité, il est probable que le gouvernement, bien loin de consentir à se lier par une loi, comme on le lui demande, voudra conserver toute sa liberté d’action, en se fondant sur ce que, comme l’alléguait M. Herzog, « aucune promesse, aucune stipulation du traité de paix n’a été violée. » Il en sera de ces débats comme du récent décret d’amnistie du 9 février, rendu par l’empereur d’Allemagne en faveur des réfractaires d’Alsace-Lorraine, décret qui, en fait, n’amnistie

    afférant, pour cette province, à la classe de 1876, près de 27 000 conscrits avaient dû être compris provisoirement ou définitivement, à des titres divers, dans la catégorie des non-valeurs ; l’autorité allemande ignorait absolument la résidence actuelle de 7 184 d’entre eux. Si l’on réfléchit qu’a l’époque où l’Alsace-Lorraine a été enlevée à la France, les jeunes gens de la classe de 1876 n’étaient encore que des enfans de quatorze ans, on sera certainement frappé de l’énergique et contagieuse persistance du sentiment que le régime allemand inspire aux populations alsaciennes.