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Tout cela a été possible, nous dirons même facile, parce que la France a une organisation financière spéciale. Elle a deux grands-livres de la dette publique, le grand-livre du trésor, le grand-livre des six compagnies de chemins de fer ; tous deux s’ouvrent pour enregistrer les placemens de l’épargne, dans des conditions différentes, il est vrai, mais en se prêtant un mutuel concours. Un jour, le grande livre des chemins de fer, avec la dette de 10 milliards au moins qui y aura été inscrite, disparaîtra au grand profit de son voisin, le trésor public, qui héritera de cet immense capital. Faut-il fermer dès aujourd’hui cette source du crédit des compagnies et dire que le crédit de l’état répondra seul à tous les besoins du pays ? Selon nous, ce serait une erreur grave, attendu que les compagnies ont un crédit indépendant et distinct de celui de l’état. Si, à divers momens, le crédit de l’état semble pouvoir suffire à tous les besoins du pays, à d’autres momens, et surtout aux époques difficiles, il est prudent d’assurer à l’épargne publique deux modes de placement. De 1871 à 1874, les cours du 3 pour 100 français donnaient un intérêt qui a varié de 5,79 pour 100 à 5,06. Dans la même période, les obligations de la compagnie du Nord ont été émises à des cours qui, prime de remboursement comprise, représentent un intérêt qui a oscillé entre 5,239 et 4,917 pour 100.

Dieu préserve notre pays de revoir des jours pareils à ceux de 1871 ; mais, s’ils revenaient, on se repentirait amèrement d’avoir anéanti à l’avance des organisations puissantes et indépendantes de l’état, des institutions telles que la Banque de France. Supprimez les six grandes compagnies et remplacez-les par des compagnies fermières, celles-ci conserveront selon toute apparence une partie de l’ancien personnel ; les hommes seront donc en grande partie les mêmes ; ils auront le même dévoûment, le même patriotisme, mais ils seront impuissans, car ils n’auront plus à leur disposition ces deux grands leviers : la liberté d’action et le crédit.

Le rôle de l’état, tel que nous le comprenons, est celui-ci : Garantir à chaque citoyen la sécurité dans ses biens et dans sa profession ; — assurer l’impartiale distribution de la justice, la défense du pays sur terre et sur mer, l’exacte répartition des impôts, leur perception économique, leur emploi régulier ; — se charger de l’exécution des travaux publics que l’industrie privée ou les pouvoirs* locaux ne sauraient entreprendre. A nos yeux, c’est assez et c’est ’déjà bien grand ; mais que l’état laisse à l’industrie privée tout ce que’ celle-ci peut concevoir et accomplir.

Si, exceptionnellement, une industrie touche par des côtés nombreux aux intérêts publics, — et l’industrie des chemins de fer est dans ce cas, — l’état peut et doit remplir vis-à-vis d’elle un rôle important, celui de protecteur, de défenseur des intérêts généraux.