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pour ainsi dire chaque jour les difficultés, l’incompatibilité d’humeur, si l’on peut se servir de cette expression, qui existent entre cette chose correcte, formaliste, qui s’appelle l’administration publique, et cette chose variable, multiple, qui s’appelle l’exploitation d’un chemin de fer.

L’exploitation par l’état s’est imposée à la suite de la crise économique amenée par la révolution de 1848. Le chemin de fer de Paris à Lyon avait été concédé à la fin de l’année 1845 à une première compagnie. Malgré de longues hésitations dues à d’importantes différences entre les évaluations de ses ingénieurs et les évaluations primitives des ingénieurs de l’état, la compagnie avait engagé avec une très grande énergie la construction des sections comprises entre Paris et Dijon. Au moment où éclata la révolution de 1848, la partie disponible des sommes versées par les actionnaires se trouvait employée en rentes sur l’état français ; l’énorme dépréciation des valeurs atteignit profondément la compagnie et ne lui permit pas de faire face à tous ses engagemens. Le crédit public était sourd à tout appel, et personne ne pouvait indiquer une solution autre que celle du rachat par l’état.

Cette solution elle-même était fort grave. Les actionnaires invoquaient le cas de force majeure. La moitié du capital était réalisée et on offrait au gouvernement de verser la seconde moitié ; on ne pouvait donc reprocher aux actionnaires de ne point tenir leurs engagemens. Une transaction équitable intervint, mais toute l’attention de l’assemblée nationale fut à peu près concentrée sur le côté financier de la question. Le fait de l’exploitation par l’état ne fut signalé que par un seul député, M. Wolowski, et dans des termes qui méritent d’être rappelés. M. Wolowski s’exprimait ainsi dans la séance du 16 août 1848 : « Si jusqu’à présent mes convictions ne se sont pas ralliées à ce système (celui de l’exécution de l’exploitation par l’état), je ne suis pas de ceux qui refuseraient à l’état le droit de faire l’expérimentation de ses forces et de ses aptitudes sur une grande échelle. J’envisage le rachat du chemin de fer de Lyon, sous le rapport particulier de la grande question de l’exploitation des chemins de fer par l’état, comme une occasion excellente de vider enfin par l’expérience, par la pratique, une question qui s’est trop souvent égarée dans le domaine des hypothèses. »

La loi de rachat fut votée par l’assemblée nationale sans rien spécifier encore sur le mode d’exploitation ; mais, dès les premiers mois de 1849, la question de l’exploitation par les compagnies ou par l’état se présenta au sujet de la ligne de Versailles à Chartres, dont la construction, exécutée par l’état, touchait à son terme. Le gouvernement aurait voulu constituer une compagnie, mais il fallait auparavant résoudre les difficultés pendantes entre les deux