Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 26.djvu/371

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

déceptions et de poursuites en poursuites, peut-être aurait-elle fini par s’égarer sans retour dans ces régions morales et sociales d’où l’on ne revient pas, si une ancre de miséricorde ne l’eût rattachée au rivage : l’amour de ses enfans. C’est ce frêle lien qui l’a empêchée de s’éloigner à jamais du foyer de Nohant, et qui, se fortifiant avec les années, a fini par l’y enchaîner. Le spectacle d’une union heureuse se développant paisiblement sous ses yeux lui a fait sans doute comprendre la sainteté des lois contre lesquelles elle s’était autrefois élevée, en même temps que son cœur s’élargissait pour faire place à des êtres nouveaux qui venaient solliciter sa tendresse. Après avoir été une mère tendre, elle est devenue une grand’mère passionnée. Cette expérience nouvelle lui a fait apercevoir la vie sous un jour plus riant, et quelques-unes des œuvres de la seconde moitié de sa vie semblent jaillir d’une source fraîche et purifiée. Ce n’est plus à l’amour adultère d’Indiana ou à la passion désordonnée de Juliette qu’elle prête des accens chaleureux ; elle peint la tendresse honnête de Jean de la Roche pour Love Butler ou le silencieux dévoûment de Caroline de Saint-Geneix pour le marquis de Villemer, heureuse si elle avait toujours été aussi bien inspirée que dans ces deux œuvres charmantes, et si elle n’avait aussi surchargé sa mémoire littéraire du lourd fardeau de beaucoup de romans languissans et sans intérêt. Plus complète a été encore la transformation de son talent, lorsque, pour parler à l’imagination de la génération nouvelle qui se groupait le soir autour de la table ronde du salon de Nohant, elle se prit à écrire des récits féeriques où son imagination puissante, se joue avec grâce. Qui eût dit que Lélia achèverait sa vie dans le château de ses pères en écrivant des contes pour ses petits-enfans, et qu’on pourrait, après plus de trente ans, lui appliquer à elle-même, presque sans restrictions, cette peinture de la vieillesse d’une de ses premières héroïnes : « Métella, fortifiée contre le souvenir des passions par une conscience raffermie et par le sentiment maternel que la douce Sarah sut développer en son cœur, descendit tranquillement la pente des années. Quand elle eut accepté franchement la vieillesse, quand elle ne cacha plus ses beaux cheveux blancs, quand les pleurs et l’insomnie ne creusèrent plus à son front des rides anticipées, on y vit d’autant plus reparaître les lignes de l’impérissable beauté du type. On l’admira encore dans l’âge où l’amour n’est plus de saison, et, dans le respect avec lequel on la saluait, entourée et embrassée par les charmans enfans de Sarah, on sentait encore l’émotion qui se fait dans l’âme à la vue d’un ciel pur, harmonieux et placide que le soleil vient d’abandonner. »

Il est à regretter que l’harmonie et la placidité de ce ciel aient