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voir en effet que la facilité et la promptitude des mouvemens sont souvent pour les bâtimens de guerre une condition d’existence même. L’habileté d’un ingénieur des constructions navales consiste donc à donner à la cuirasse la plus grande forcé de résistance possible sans dépasser la limite où le vaisseau cesserait d’être maniable ; mais cette double condition : légèreté relative et résistance, ne constitue pas tous les élémens du problème. L’artillerie a fini par acquérir une puissance de perforation telle que, pour y résister, une cuirasse doit atteindre un certain degré d’épaisseur qui, conservé indistinctement pour toutes les parties de la coque, excéderait le poids admissible. En conséquence, la préoccupation constante des constructeurs est de répartir la cuirasse de telle sorte qu’elle protège efficacement certaines parties, quitte à diminuer la garantie de certaines autres où les blessures, seraient moins dangereuses. Généralement, les coups de l’artillerie d’un bâtiment sont dirigés de manière à frapper les organes essentiels de l’adversaire : les machines, le gouvernail, ce qu’on appelle les « œuvres vives. » Le but ordinaire est d’atteindre le navire là où elles se trouvent, c’est-à-dire au-dessous de la surface de. la mer, dans la partie immergée depuis la ligne de flottaison. Le constructeur doit donc se proposer surtout de la protéger. Aussi est-ce en cet endroit que la cuirasse d’un grand nombre de bâtimens prend toute sa force et obtient la plus grande épaisseur.

Enfin il faut donner encore aux bâtimens cuirassés la vitesse de marche et la promptitude d’évolution. Par la vitesse, un navire peut échapper à la poursuite d’un adversaire trop puissant ; il peut au contraire atteindre un ennemi plus faible, ou bien encore il peut franchir à temps de grandes distances pour porter au loin la protection du drapeau national, prendre part à une action imminente, ou modifier le cours des événemens par sa seule présence. La faculté de prompte évolution est surtout nécessaire depuis que les bâtimens sont pourvus d’un bélier, c’est-à-dire portent à l’avant une masse tranchante dont le choc bien dirigé est irrésistible et peut infliger au navire ennemi une blessure telle qu’il périsse. Dans la bataille navale de Lissa, l’un des plus grands cuirassés de l’Italie, ayant perdu, par la rupture de son gouvernail, la faculté d’évoluer, fut frappé d’un coup de bélier. Il coula immédiatement. Tout fut perdu, à la seule exception des marins qui, s’étant jetés à la nage, purent être recueillis par l’ennemi. Si le Re d’Italia avait pu tourner rapidement, il eût peut-être évité cette atteinte mortelle, par exemple en se présentant dans le sens de sa longueur à son adversaire ; alors le choc eût été borné à un frottement un peu rude certes, mais dont les deux bâtimens seraient sortis sans avarie majeure. Voilà pourquoi la facilité d’évolution