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sapeurs du génie passèrent quelques planches sur les deux rives de la berge entre lesquelles le canal se dégorge dans la Seine. Bientôt une passerelle fut établie, et le 35e de ligne se massa en colonne d’assaut. Les batteries de droite et de gauche, les fortes pièces des canonnières tonnèrent pendant quelques minutes, puis tout se tut. Le colonel Vanche commanda : En avant ! La colonne s’élança au pas de course le long de la berge, passa sous le pont d’Austerlitz, remonta par le quai de la Râpée et arriva derrière la barricade au moment où ses derniers défenseurs s’enfuyaient par la rue Lacuée. La division Faron avait accompli ce tour de force avec un aplomb et un entrain admirables ; je suis persuadé qu’elle se serait rendue maîtresse toute seule de cette forteresse si terriblement armée ; mais il est juste de dire que les canonnières n’ont pas nui à son succès et qu’elles ont singulièrement aidé au dénoûment. Elles ont été valeureuses au-delà de toute expression et n’ont reculé ni devant aucune difficulté, ni devant aucun sacrifice ; un chiffre douloureux le constatera : sur un effectif de 82 hommes 26 furent tués ou blessés ; près du tiers ; c’est là une proportion absolument anormale.

Là s’arrête le rôle militaire des canonnières ; elles n’ont plus qu’une surveillance incessante à exercer sur la Seine. Leur action a été prépondérante, elle a ouvert la rive droite dans-la partie orientale de la ville, et a permis aux corps d’armée qui manœuvraient sur la rive gauche d’aller vers la Bastille, vers la mairie du XIe arrondissement, vers le Père-Lachaise, où les fusiliers marins sont arrivés « bons premiers » le vendredi 27 mai, et ont trouvé abandonnée la batterie qui foudroyait Paris depuis six jours ; ils sont entrés aussi le lendemain à la Grande-Roquette, ainsi que je l’ai déjà raconté, mais trop tard pour sauver les héroïques victimes que la commune s’est enorgueillie d’avoir sacrifiées à ses haines. Pendant que nos marins poursuivaient leur œuvre de salut, pendant que les batteries mobiles de la marine, hissées dans l’église de la Trinité, sur les balcons de la rue Lafayette et ailleurs, démolissaient les grandes barricades sous le commandement du lieu tenant de vaisseau Gaillard, et arrachaient un cri d’admiration au général d’artillerie Clappier[1], la rue Royale continuait à brûler. Qui ne se rappelle ces foyers horribles, dont les poutres en

  1. Le général d’artillerie Clappier, ayant mandé le commandant Ribourt, lui a dit : « Je n’osais compter sur des résultats aussi remarquables que ceux obtenus avec ces petites pièces portées dans les églises, sur les monumens ou aux étages élevés. Nous aurions certainement perdu beaucoup de monde sans ces pièces, dont le tir plongeant balayait les barricades que nos troupes devaient franchir. Dites cela au ministre, et ajoutez, je vous prie, que j’ai rarement vu des hommes aussi solides, aussi modestes et aussi calmes au feu que vos braves matelots. » (Extrait du rapport du commandant supérieur des batteries à M. le ministre de la marine.)