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Paris par les armées allemandes. Au 31 octobre, il avait été bien près de prendre parti pour les émeutiers, car il fit sonner le tocsin à l’église Saint-Laurent, afin de rassembler ses hommes et de se porter avec eux sur l’Hôtel de Ville. Au combat de Buzenval, il déploya un courage qui fut admiré et le fit proposer pour la croix de la Légion d’honneur. Ce fut la capitulation, ce fut peut-être un aveugle sentiment de patriotisme qui lui fit perdre la tête. De concert avec un certain Piazza, il essaya de soulever la garde nationale, demanda la continuation de la guerre et placarda quelques appels à la révolte. Condamné pour ce fait à deux ans de prison, il fut délivré, se cacha, et s’offrit au comité central, qui, le 18 mars, en fit un général. Membre de la commune, aux délibérations de laquelle il n’assistait guère, il fut nommé chef de la 10e légion ; il défendit le fort d’Issy très vigoureusement et y reçut un éclat d’obus qui le força au repos pendant quelque temps. Évidemment mal à l’aise avec lui-même, mécontent des gens de la commune, qui le traitaient un peu cavalièrement et l’avaient, en un jour de colère, sottement accusé de trahison, Brunel s’aigrit, s’exaspéra et devint d’autant plus redoutable qu’il sentait bien que son devoir eût été de marcher avec cette armée de Versailles qu’il avait ordre de combattre. Comme les gens qui comprennent leurs torts et ne veulent pas les avouer, il s’avança plus encore dans la voie mauvaise où sa vie passée, ses instincts, son éducation, auraient dû l’empêcher de jamais mettre le pied. Il est de ceux sans doute qui, dans ces derniers momens si terribles, se sont dit : Puisqu’on ne peut plus reculer, il faut aller jusqu’au bout. Il y alla brutalement, et, au lieu du brave soldat qu’il avait été, devint un scélérat.

Son premier soin en arrivant au ministère de la marine fut de demander « le père Gaillard. » On ne put s’empêcher de rire ; Napoléon Gaillard, qui, la veille encore, la main derrière le dos et les yeux animés, paradait sur ses barricades, n’avait pas reparu et ne devait pas reparaître. Il fut imité en cela par tous les hauts fonctionnaires que la commune avait infligés à la marine, et qui ne se montrèrent plus dans la rue Royale. J’en excepte Matillon, qui, au moment où « le corps d’armée de Brunel » arrivait, vint en volontaire de la révolte offrir ses services qui furent acceptés. Ce chef de la comptabilité fit valoir qu’il avait été sous-officier de spahis, et déploya pendant toute la bataille une ardeur qui dénotait des convictions qu’on ne lui aurait pas soupçonnées. Brunel et Matillon firent rapidement l’inspection des ouvrages de défense. On était très sérieusement protégé contre toute attaque se prononçant par les Champs-Elysées ou le pont de la Concorde ; mais les derrières n’étaient point assurés, et la rue Royale offrait une voie libre aux