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Si l’insurrection avait possédé un seul homme de guerre, elle aurait pu, quoique le Mont-Valérien fût à nous, faire un mouvement tournant un peu allongé qui l’eût mise en possession de Versailles et peut-être des destinées de la France. Cette honte nous fut épargnée.

M. Thiers a avoué lui-même l’espèce de torpeur dont on était accablé, lorsqu’il a dit devant la commission d’enquête : « Nous passâmes à Versailles quinze jours sans rien faire. » Cet état d’âme, lourd et indécis, qui succède presque invariablement aux grandes commotions, ne dura pas. L’énergie se retrouva parmi nos officiers de la marine et de l’armée, auxquels elle n’a pas l’habitude de faire défaut ; M. Thiers, surexcitant son activité naturellement excessive, voulait tout entreprendre à la fois. Chaque matin, il réunissait autour de lui les chefs de service des différens ministères, les interrogeait individuellement, leur donnait directement ses ordres et en recevait des rapports verbaux ; c’était ce qu’il appelait le petit conseil ; dans la journée, il expliquait au conseil des ministres, — le grand conseil, — les diverses mesures qu’il avait cru devoir adopter. Sur les instances de l’amiral Pothuau, il se résolut à utiliser les ressources considérables en hommes et en matériel que la marine pouvait mettre à sa disposition.

« Il fallait, dit un rapport officiel, réduire au silence les bastions sud de la place, dont l’armement gênait les travaux de siège contre le fort d’Issy, et rendre intenables les remparts depuis la. Seine jusqu’à la Muette pour faciliter les travaux d’approche. » Ces positions, occupées par l’insurrection, faisaient rage nuit et jour ; elles ne gênaient pas seulement les travaux du siège, bien souvent elles les paralysaient, et c’était là un très grave inconvénient qui ne pouvait se prolonger sans mettre la situation en péril. Les pièces de siège manquaient ; l’artillerie de terre, quoique admirablement servie et commandée, ne suffisait pas à la tâche qui lui avait été imposée, car ses canons n’avaient pas la portée nécessaire pour battre efficacement l’enceinte et les forts détachés. La marine seule possédait dans ses arsenaux des pièces assez puissantes pour détruire, à longue distance, les repaires de la révolte et ouvrir à nos soldats une route certaine vers Paris. M. Thiers avait accepté avec empressement les propositions de l’amiral Pothuau, mais il eut quelque peine à les faire adopter par le grand conseil ; il y réussit cependant et fit, en cette circonstance, acte de bonne autorité en disant : « Je le veux ! » Ce fut le capitaine de vaisseau Krantz, alors chef d’état-major et chef du cabinet du ministre, actuellement vice-amiral, qui, assistant chaque matin au petit conseil, fut chargé de mettre à exécution les ordres de l’amiral Pothuau et de faire diriger sur Versailles les hommes et le matériel dont on avait besoin. Ce ne