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soin ; après sept heures du soir, avant six heures du matin, on ne pouvait entrer sans montrer un laisser-passer ; une fois admis dans l’enceinte sacrée du ministère, on était conduit de sentinelle en sentinelle, jusqu’au gouverneur Gournais, qui, lorsqu’il n’était pas tout à fait ivre, daignait prendre une décision. Les habitans de l’hôtel n’étaient même pas exemptés de ces insupportables vexations ; pour s’y soustraire, le docteur Mahé ne sortait jamais le soir et était toujours rentré avant sept heures. Sans le savoir, la commune, par ses agens enfiévrés d’autorité, avait fait retour aux pratiques que tous les peuples civilisés ont condamnées ; quelques jours avant de s’effondrer, n’avait-elle pas rendu un décret qui forçait chaque citoyen à être muni d’une carte d’identité ? Il faut ajouter que tous les hommes de ce gouvernement de singes malfaisans avaient passé leur vie à déblatérer contre les très anodines précautions que la préfecture de police prenait contre leurs instincts pervers et leurs détestables projets.

En ce temps-là, toute délation était écoutée, tenue pour bonne, et donnait motif à des avanies sans pareilles. M. Gablin en fit la dure expérience. Dans les premiers jours de mai, il vit entrer dans son cabinet un commissaire de police portant l’écharpe en sautoir, et suivi d’une dizaine d’estafiers vêtus en gardes nationaux. — Le citoyen Gablin, chef du matériel de l’ex-ministère de la marine ? — C’est moi. — Au nom de la loi, je vous arrête. — Pourquoi ? — Parce que j’en ai reçu l’ordre. — La raison était sans réplique ; M. Gablin prit son chapeau et dit : — Eh bien ! marchons ! — Le commissaire de police lui expliqua qu’on allait le garder à vue jusqu’à ce qu’on se fût assuré de deux autres employés. Les deux sous-ordres — contre lesquels un mandat d’amener avait été lancé, — étaient MM. Manfrina et Juin, le fumiste et le serrurier qui avaient aidé M. Gablin à cacher les armes et l’argenterie. Ces trois arrestations opérées simultanément ne laissaient aucun doute aux trois prisonniers, qui se regardèrent comme pour se dire : Nous avons été dénoncés. On les emmena à la préfecture de police. C’est à peine si les gens qui les voyaient passer faisaient attention à eux. À ce moment, les arrestations arbitraires étaient si fréquentes qu’on ne les remarquait plus. Sur le Pont-Neuf, quelques curieux s’arrêtèrent et dirent : « Ce sont des curés déguisés. » On les fit entrer d’abord au bureau de la permanence, où on les remit entre les mains de Chapitel. Celui-ci commença l’interrogatoire, que M. Gablin sut immédiatement faire porter sur lui seul. Son argumentation fut très simple et très ferme : — Ces deux hommes arrêtés, on ne sait pourquoi, sont deux ouvriers attachés au ministère ; ils sont hiérarchiquement soumis au chef du matériel ; l’un ne peut déplacer