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l’Autriche se trouvait compromise dans ses intérêts ou entraînée dans un conflit, l’Allemagne ne lui créerait point d’embarras. Au fond la vraie pensée de M. de Bismarck, autant qu’on puisse la saisir, est de laisser tout faire et de se réserver, soit pour une médiation qu’il ne veut pas compromettre en exprimant d’avance une opinion, soit dans l’intention de tirer parti des événemens. Il n’encourage personne et ne retient personne, il ne s’émeut pas de voir les autres se donner de l’occupation. Ce qui est certain, c’est que pour lui il tient à garder intactes et disponibles les forces de l’Allemagne pour des circonstances inconnues. Est-ce un discours pacifique ? C’est du moins le langage d’un homme qui contemple avec une philosophie assez sceptique une situation grosse d’orages et de périls. M. de Bismarck n’éclaire pas cette situation, et il ne l’aggrave pas : il la laisse telle qu’elle est en présence de cette paix extraordinaire qui se prépare sur le Bosphore et de ce congrès qui doit toujours se réunir à Bade, qui aurait certes fort à faire pour répondre à l’attente du monde.

Si c’est la paix, une paix certaine ou passable qui sort du congrès, elle sera la bienvenue ; elle aura été dans tous les cas plus dure à obtenir que cette élection d’un pape qui vient de se faire si promptement, si paisiblement à Rome, et qui a bien, elle aussi, son importance morale dans l’état présent de l’Europe. Il y a moins d’un mois que la succession pontificale s’est ouverte, et au premier moment la mort de Pie IX, cette mort presque imprévue, quoique toujours attendue, semblait soulever bien des questions sérieuses, à demi inquiétantes. C’était le premier changement de règne pontifical qui s’accomplissait dans les conditions nouvelles, depuis que la fortune des révolutions a réuni dans la ville, éternelle le roi d’Italie et le chef suprême de la catholicité. Qu’allait-il arriver de cette transition ? L’élection d’un pape se ferait-elle à Rome, et les cardinaux pourraient-ils remplir leur mission en toute indépendance ? N’y aurait-il pas des troubles, des difficultés, des luttes intimes, des compétitions passionnées, des temporisations dangereuses, autour du conclave ou dans le conclave ? Quel serait le nouveau pape et quel esprit porterait-il sur la chaire de saint Pierre ? Et voilà comment les imaginations vont au-delà de la réalité ! Tout s’est passé de la manière la plus simple et la plus régulière du monde. Il n’y a eu ni troubles, ni obstacles, ni lenteurs, ni difficultés d’aucune sorte. Les cardinaux du monde entier se sont rencontrés au Vatican, ils n’ont jamais été plus nombreux dans une circonstance semblable, et ils ont eu une liberté de délibération qui n’a jamais été mieux garantie. Le gouvernement italien s’est abstenu avec soin de toute démonstration, de toute apparence d’immixtion. Les Romains ont pu aller paisiblement sur la place de Saint-Pierre pour voir monter la fumée des bulletins inutiles à mesure que les scrutins se succédaient. Toutes les traditions ont été suivies, et