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tremblent toujours pour leur bonheur, et ils dorment couchés sur leur épée, aussi dorment-ils mal et peu.

Oui, l’Allemagne a des soucis. Les uns lui viennent du dehors, et elle en demande raison à ses voisins, dont les agissemens lui semblent suspects ; les autres lui sont causés par de graves questions de ménage, qu’elle est fort empêchée à résoudre. Ce qui l’occupe, ce qui l’inquiète, ce ne sont pas seulement des luttes religieuses, que le temps paraît aigrir et envenimer plutôt qu’il ne les apaise, ni les progrès de l’agitation socialiste, favorisée par des chômages, par le malaise dont se plaint l’industrie, par des souffrances croissantes auxquelles on ne trouve point de remède. Pour surcroît de malheur, l’Allemagne a eu tout récemment le déplaisir d’apprendre que le budget de l’empire se balance par un déficit, que ce déficit s’est accru d’année en année, et qu’il est urgent de le couvrir en augmentant certains impôts et en créant de nouvelles taxes. Mais ce qui la préoccupe le plus, c’est sa constitution, bien jeune encore et déjà usée, dont elle reconnaît chaque jour davantage les inconvéniens et les vices. La machine fonctionne mal, le jeu en est compromis par des frottemens, par des collisions de rouages, qui font craindre qu’elle ne se détraque. Le grand mécanicien qui l’a construite convient lui-même qu’il est désormais impuissant à la faire marcher, qu’il faut à tout prix la réparer ou la refaire. On avait vécu jusqu’ici dans le provisoire ; mais il y a des provisoires qui durent, la constitution de l’empire germanique est un de ces provisoires qui ne peuvent pas durer.

Il faut être juste. De toutes les formes de gouvernement, il n’en est pas de plus difficile à organiser qu’une confédération ou qu’un état fédératif. Une confédération se compose d’états souverains, auxquels on demande de se dépouiller d’une partie de leurs droits de souveraineté pour en faire hommage au pouvoir central. Le dépouillement volontaire est une vertu de moines, et les gouvernemens ne sont pas des moines. La difficulté s’aggrave quand l’état fédératif est composé de petits pays, unis à une grande monarchie, à l’une des grandes puissances de l’Europe. Toute la politique est dans La Fontaine. On sait ce qui arriva à la génisse, à la chèvre et à leur sœur la brebis, lorsqu’elles s’avisèrent de faire société « avec un fier lion, seigneur du voisinage, » et de mettre en commun avec lui le dommage et le gain. On était quatre à partager la proie ; le lion s’adjugea la première, en qualité de sire, il prit la seconde par le droit du plus fort, il s’arrogea la troisième comme le plus vaillant.

Si quelqu’une de vous touche à la quatrième,
Je l’étranglerai tout d’abord.

Sur les 42 millions d’âmes que compte l’empire germanique, 26 appartiennent à la Prusse ; la Bavière, qui vient tout de suite après, en