Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 26.djvu/206

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ce sujet des faits très curieux. M. le baron Gros, ministre plénipotentiaire de France en Grèce, qui se délassait de ses fonctions diplomatiques par des travaux de photographie, avait pris un jour une vue de l’Acropole d’Athènes. De retour à Paris, il eut la fantaisie d’examiner à la loupe les détails de cette épreuve, et, à sa grande surprise, il découvrit, sur une pierre du premier plan, l’image gravée en creux d’un lion dévorant un serpent. Le dessin de cette figure datait évidemment de l’époque égyptienne. La photographie avait donc réparé un défaut d’attention, et l’épreuve gardait fidèlement à son propriétaire une découverte que la lumière avait faite pour lui.

Chose plus étonnante, la photographie peut dévoiler l’invisible et ressusciter des caractères complètement effacés. C’est ce que l’expérience a montré quand M. Camille Silvy a inauguré, en 1860, la reproduction photographique des manuscrits anciens par un admirable fac-similé du manuscrit Sforza, appartenant à M. le marquis d’Azeglio. Il s’est trouvé que la copie était plus lisible que l’original, et que certains passages qu’on ne pouvait déchiffrer sur le parchemin n’offraient plus de difficulté lorsqu’on interrogeait le fac-similé. A la dernière page, on découvrit même une note, écrite en allemand au-dessous de la signature, qui était mise au jour par la photographie, et dont on n’apercevait aucune trace sur le manuscrit. Cette note avait disparu parce que l’encre ordinaire (à base de peroxyde, de fer) s’altère avec le temps et prend une teinte jaunâtre qui se confond avec celle du parchemin ; mais elle ternit la surface et en diminue le pouvoir photogénique, de sorte que les traits depuis longtemps effacés reparaissent en noir sur la copie exécutée par la lumière. Quelques années plus tard, M. Silvy a encore revivifié par ce moyen une note qui avait été écrite à la main au bas d’une gravure représentant le portrait du prince-cardinal Emmanuel de la Tour d’Auvergne et qui indiquait le lieu et la date de la mort du prélat. La photographie devient donc un instrument de restauration des vieux manuscrits ; on pourra s’en servir notamment pour faire revivre les caractères primitifs des palimpsestes, qu’on essayait autrefois de raviver à l’aide d’une dissolution de tannin, qui endommage les manuscrits[1]. Mais, en dehors de cette application spéciale, il est évident qu’elle fournit le meilleur moyen de multiplier les copies de manuscrits rares et de rendre ces derniers plus accessibles aux érudits. C’est ainsi qu’en 1848 M. de Sevastianof a réussi, en s’enfermant pour un long temps dans un

  1. M. Gobert a recommandé ce moyen pour la recherche des falsifications d’écritures tracées à l’encre ordinaire. On sait que la photographie fait aussi paraître en noir les traits à peine visibles dessinés sur le papier avec une dissolution de sulfate de quinine.