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titres souscrits par la daïra. Autrefois ils ne pouvaient agir que par l’intervention diplomatique ; mais leurs réclamations, présentées par les consuls généraux, quand elles avaient la chance d’être en outre appuyées par de hautes influences, exposées directement au khédive par les intéressés, finissaient, après bien des retards, par être écoutées. Aujourd’hui ils ont du moins la satisfaction de faire délivrer contre leur débiteur des jugemens exécutoires, de le traquer jusque dans ses derniers retranchemens, et si sa mauvaise volonté annule quelquefois leurs efforts, elle ne réussit pas toujours à les déjouer.

Les détails qui précèdent étaient nécessaires pour expliquer le rôle considérable auquel a été appelée au lendemain de son établissement la magistrature européenne de l’Égypte. Il ne lui suffisait pas, comme à un tribunal ordinaire, de rendre des sentences en toute indépendance d’esprit. Elle était en outre investie du droit et chargée du devoir d’en procurer l’exécution. En se heurtant à un souverain contumax, elle s’est trouvée jetée dans un conflit politique au milieu duquel son attitude a été correcte et mesurée. Si elle a été impuissante contre le khédive, il a été impuissant contre elle, et l’événement a montré non les vices de l’institution, mais ceux du régime arbitraire qu’elle est appelée à tempérer. Elle a suffi à sa tâche et s’est servie sans faiblesse des armes dont elle était pourvue. Elle ne pouvait aller au-delà sans compromettre son caractère. Cette épreuve, loin de l’affaiblir, a démontré sa solidité, l’esprit de corps s’est rapidement développé grâce à la solidarité des périls communs et des résistances collectives. Si le khédive a perdu sa cause, la magistrature de la réforme a gagné la sienne. L’expérience que nous annoncions au début de cette esquisse est faite et semble probante.

Sans doute il reste quelques mesures utiles et même urgentes à prendre pour assurer à l’Égypte et à l’Europe tous les bienfaits que la réforme judiciaire est à même de procurer. Il faudrait notamment étendre à tout le pays et à tous les sujets d’Ismaïl-Pacha le bénéfice tout au moins facultatif de la juridiction qui remplace les cadis, augmenter le haut personnel, épurer celui des auxiliaires subalternes, réviser les règlemens. Mais, sauf ces améliorations faciles à introduire, le système actuel mérite de rester en vigueur. En inaugurant sur le sol égyptien le respect du droit, l’indépendance de la conscience, la sécurité des plaideurs, la publicité de la justice, celle du régime hypothécaire, en bannissant du prétoire la fraude et l’arbitraire, l’institution nouvelle a donné la mesure de sa valeur, et offert au khédive un exemple dont cet habile politique saura profiter.


GEORGE BOUSQUET.