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Égyptiens. On ne pouvait demander en effet à des Occidentaux de consacrer même implicitement par leurs sentences les lois, barbares au sens européen, qui régissent la famille musulmane ; on n’a pas osé non plus remettre à une juridiction cosmopolite l’application des lois nationales de chaque individu, qui seules doivent être consultées en pareil cas. Il s’ensuit que toutes les questions préjudicielles relatives aux naissances, mariages, décès, à la filiation, à l’émancipation, aux droits des époux, aux successions, donations, testamens, doivent être renvoyées, soit devant la chambre indigène, soit devant le consul, sauf appel à la cour d’Aix et pourvoi en cassation, tandis que la solution du litige reste en suspens. C’est un embarras qui n’est pas d’ailleurs inconnu de nos juridictions et auquel on ne pourra jamais obvier complètement.

Des difficultés plus graves et qu’on ne supprimera pas d’un coup de plume se présentent dans l’application du code de procédure récemment promulgué aux habitans de l’immobile Égypte, à ces fellahs chez lesquels nous avons pu remarquer, après tant d’autres, une identité de type avec les statues de l’ancien empire. Tant qu’il est en présence du tribunal, l’Égyptien se tait et se soumet ; il se contente de mentir effrontément devant les infidèles chargés de le juger. Mais quand l’huissier arrive pour opérer sa saisie au domicile du débiteur, la scène change. Si rapide que soit aujourd’hui la transformation des mœurs, au contact de l’Europe armée de toutes ses tentations, et bien que le fanatisme cède plus vite devant le commerce, le goût des produits exotiques et l’amour des gros profits, en un mot devant la croisade des intérêts, que devant l’artillerie et les guerres saintes, il reste encore des retraites inviolables où n’a pu être forcée la conscience musulmane. Le harem est toujours l’asile sacré, impénétrable pour tout autre que le maître. Or on sait que beaucoup d’Orientaux n’ont pas d’autre luxe et concentrent sur l’appartement des femmes toute leur prodigalité. Fussent-ils plus économes, le harem pourrait encore leur servir de cachette, s’il était fermé aux officiers de justice. Si l’on y pénètre quand même, il faut s’attendre à une résistance désespérée ; si on le respecte, que devient le gage des créanciers ?

Cette résistance s’explique d’autant plus facilement que l’origine même des créances est parfois médiocrement honorable. Pour suffire aux exigences souvent arbitraires et toujours brutales des collecteurs d’impôts, appuyées par la courbache, les malheureux paysans ont recours à des prêteurs européens, rarement très scrupuleux, qui les exploitent et dont les saisies, quelque régulières qu’elles puissent être en la forme, ressemblent fort à des extorsions. L’huissier a donc grande chance d’être mal reçu quand il vient