Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 26.djvu/181

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les circonstances scandaleuses qui avaient accompagné cette banqueroute. Un très grand nombre de familles avaient été ou ruinées ou gravement atteintes dans leur aisance, et maint capitaliste qui se fût montré peut-être fort indifférent aux griefs des Bosniaques et des Bulgares, si la rente turque avait été exactement payée, donnait un libre cours à ses plaintes et soulageait son légitime ressentiment en flétrissant la déplorable administration des musulmans.

Le clergé méthodiste, plus enthousiaste qu’éclairé, et tous les prédicans fanatiques qui pullulent en Angleterre, où ils vivent à l’aise aux dépens des âmes crédules et sensibles, déclamaient à l’envi contre un peuple qui persécutait des populations chrétiennes. Ils demandaient avec indignation si les trésors de la pieuse Angleterre pouvaient être employés à défendre l’islamisme et à sauver d’une ruine méritée un gouvernement qui tolérait la polygamie, oubliant sans doute que ce reproche pouvait être retourné contre l’Angleterre, qui compte dans l’Inde plus de 50 millions de sujets musulmans et leur laisse pratiquer librement les maximes du Koran. Il ne manquait pas non plus de journaux pour exciter l’opinion contre la Turquie. Depuis Philippe de Macédoine, qui se vantait de faire entrer un mulet chargé d’or dans la forteresse la plus inaccessible, aucun gouvernement ne s’est servi de la corruption avec plus de persévérance et d’habileté que le gouvernement russe, et cette réputation, qui semble bien méritée, a fait interpréter peu charitablement le zèle avec lequel certains journaux anglais, parmi les plus répandus et les plus autorisés, ont pris en main la cause des chrétiens orientaux, les peintures exagérées qu’ils ont publiées des souffrances de leurs cliens et l’ardeur avec laquelle ils ont appelé sur les Osmanlis un châtiment qui ne pouvait manquer d’être particulièrement agréable et profitable à la Russie.

Enfin un grand orateur, dévoyé, mais toujours puissant, aigri par les souffrances de l’amour-propre et les déceptions de l’ambition, ne pardonnant ni à ses successeurs de l’avoir renversé du pouvoir ni à ses anciens amis de s’être trop facilement résignés à une séparation qui n’était qu’une feinte, se tenant sans cesse à l’affût de tout ce qui pouvait ramener l’attention sur lui et réchauffer sa popularité éteinte, M. Gladstone se plaçait ou plutôt se précipitait à la tête de ce qu’il croyait être un grand mouvement de l’opinion. Se multipliant et se prodiguant à l’infini, il courait de ville en ville et de meeting en meeting, mettant au service des prétendus défenseurs de la paix et des détracteurs de la Turquie son éloquence nerveuse et un peu déclamatoire. Le ministère ne pouvait manquer de tenir compte de cette agitation, qui faisait une vive impression sur quelques-uns de ses membres, et lord Beaconsfield lui-même, bien que plus ferme et plus résolu que les autres, dut se rappeler que,