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langage de l’amour. Il faut remonter aux lettres de Saint-Preux à Julie pour rencontrer dans notre littérature des accens aussi chaleureux. Corinne elle-même n’en a point trouvé de pareils pour émouvoir la froideur d’Oswald. Si j’osais, je dirais que Corinne a trop d’esprit pour aimer autant ; la littérature, les arts, l’improvisation, tiennent trop de place dans sa vie. Mais Indiana, la pâle créole, enfoncée, par une soirée d’automne pluvieuse et fraîche, sous le manteau de la vaste cheminée du château de Lagny, toute fluette, toute pâle, toute triste, toute jeune à côté de son vieux mari, « semblable à une fleur née d’hier qu’on a fait éclore dans un vase gothique, » que voulez-vous qu’elle fasse, sinon d’aimer ? Quoi d’étonnant si depuis son enfance elle attend le jour où elle connaîtra l’amour, et si elle succombe dans cette attente ? « Élevée au désert, négligée de son père, vivant au milieu des esclaves, pour qui elle n’avait d’autres secours, d’autre consolation que sa compassion et ses larmes, elle s’était habituée à dire : — Un jour viendra où tout sera changé dans ma vie, un jour où l’on m’aimera, où je donnerai tout mon cœur à celui qui me donnera le sien. En attendant, souffrons, taisons-nous et gardons notre amour pour récompense à qui me délivrera. — Ce libérateur, ce messie, n’était pas venu. Indiana l’attendait encore… Aussi elle se mourait. Un mal inconnu dévorait sa jeunesse. Elle était sans force et sans sommeil ; son cœur brûlait à petit feu, ses yeux s’éteignaient, son sang ne circulait plus que par crise et par fièvre. Encore quelque temps, et la pauvre captive allait mourir. »

Ce mal inconnu, qui ne le connaît pas ? À le voir ainsi décrit, combien de femmes ont dû tressaillir en se disant : C’est vrai ! Combien aussi, à un moment de leur vie, ont rencontré un Raymon de Ramière brillant de talent et de succès, mais cachant sous les dehors de la sensibilité et de la passion la faiblesse d’une nature égoïste et lâche. Raymon de Ramière n’est que le premier accusé de cette longue bande de coupables que George Sand a traduits successivement à la barre de l’opinion publique, et contre lesquels elle a dressé un long acte d’accusation. Dès l’exorde, elle accable de tout le poids d’une colère longtemps contenue ce malencontreux amant dont toute la conduite, depuis le jour où il fait la cour à la femme de chambre dans l’appartement de sa maîtresse jusqu’à celui où il refuse un asile à Indiana, ne peut inspirer que le dégoût. Cette première victime n’a pas suffi à George Sand ; le mépris théorique de l’amour des hommes et la supériorité des femmes dans les relations du cœur sont demeurés une de ses thèses favorites. Cette thèse, qui n’est pas sans quelque fondement, et une protestation plus déclamatoire que précise contre la sujétion