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d’amour, ses romans philosophiques, ses romans socialistes, et enfin celles de ses œuvres où brillent surtout ses créations et sa fantaisie d’artiste. Je ne crois pas qu’une pareille étude, si elle était (ce que je n’espère pas) à la hauteur du sujet, fût moins digne d’intérêt parce qu’elle serait consacrée tout entière à des œuvres d’imagination, et parce qu’il ne s’agirait que de romans. Je sais qu’il est de règle de dire que le roman est en lui-même une forme inférieure de la littérature, que la saine antiquité ne donnait pas aux imaginations un aliment aussi frivole, et qu’au surplus des œuvres aussi éphémères, destinées à passer de mode avec le temps qui les a vues naître, ne méritent pas l’effort d’une critique sérieuse. J’avoue cependant ne point partager ce dédain et ces préjugés. Si, pour donner au roman droit de cité dans la littérature sérieuse, il est nécessaire de pouvoir invoquer l’exemple de l’antiquité, je ne citerai pas seulement Daphnis et Chloé, parce que le chef-d’œuvre de Longus n’en est pas moins sorti d’une époque de décadence ; mais qu’est-ce donc que les poèmes épiques, sinon la forme du roman chez les peuples enfans, et les rustiques habitans de l’Hellade ou de l’Ionie ne se pressaient-ils pas autrefois pour entendre les rapsodes par le même sentiment qui dans un cabaret de village rassemble autour de la table commune les lecteurs d’un feuilleton ? Si, pour soumettre une œuvre à une critique approfondie, il faut être assuré que sa forme ne vieillira pas, quelles sont celles dont le temps respecte la méthode et les procédés ? Sont-ce les ouvrages d’histoire ? Mais qu’est-ce qui vieillit davantage que les ouvrages d’histoire, à moins qu’ils ne tiennent un peu du roman comme les livres d’Hérodote, les annales de Tite-Live ou les chroniques de Froissart ? Qui s’avise aujourd’hui de lire l’Histoire de France de Mézeray ou l’Histoire philosophique des deux Indes de l’abbé Raynal ? Mettons de côté au reste ces raisons pédantesques et ne rougissons pas de notre attrait pour ces enfans, ne dussent-ils vivre qu’un jour, d’une des plus belles facultés de l’homme, la seule qui donne à son impuissance l’illusion de la création. Puisque nous nous sentons mal à l’aise dans notre étroite prison, demandons pour en sortir à l’imagination ses ailes, et sachons quelque reconnaissance à ceux qui nous emportent au-dessus des obscures régions de la terre, vers les sommets brillans de l’idéal.


I.

Ce qui a tout d’abord assuré l’empire de George Sand sur une génération romanesque qui portait les cheveux longs et qui avait la manie du suicide, c’est l’éloquence avec laquelle elle a parlé le