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émules. Ces reproches étaient parfaitement justes avant l’année fatale, mais aujourd’hui ils manqueraient de fondement. Pour se convaincre du revirement qui s’est opéré dans les esprits à ce sujet, il suffit de jeter un coup d’œil sur les bulletins de notre Société de géographie ainsi que sur les diverses publications qui s’y rattachent, et de lire les correspondances étrangères de nos journaux. Un fait qui s’est passé, au mois de janvier de cette année, dans la séance solennelle de la Société de géographie de Paris nous donne une preuve nouvelle de l’ardeur avec laquelle nous cherchons à nous informer de ce qui se fait à l’extérieur. Tous les ans, son secrétaire proclame devant un public d’élite les noms des membres nouvellement admis ; cette année, la liste des adhérens a été d’une longueur tellement démesurée qu’il a fallu rompre avec cet usage.


I

Pour mesurer du reste, et d’un coup d’œil, l’étendue de nos progrès dans l’extrême Orient, il suffit de rappeler qu’il y a trente ans la Chine et les royaumes adjacens étaient encore fermés aux Européens. Canton depuis quatre siècles voyait, il est vrai, à sa porte fonctionner quelques factoreries étrangères, mais ces établissemens étaient sans importance et soumis à des règlemens vexatoires. Voici ce qu’on lit sur l’origine de ces factoreries dans l’Histoire des nations étrangères avec la Chine, publiée par un vice-roi de Canton en 1819 : « Dans le temps de la dynastie des Thang (618 après Jésus-Christ), un marché régulier fut ouvert à Canton, et un officier y fut envoyé pour recevoir les impôts du gouvernement. Dans les temps de Yng-Tsoung et de Chun (1321-1333), il fut ordonné que toutes les nations étrangères y apporteraient un tribut tous les trois ans. Les règlemens furent très sévères, après quoi cent vingt-deux maisons furent bâties pour la commodité des marchands. Dans la douzième année de Tchingte (1518) des étrangers venus de l’ouest, nommés Ta-lan-ki (Français), dirent en arrivant qu’ils apportaient un tribut à l’empereur, et aussitôt ils entrèrent dans la rivière ; avec leurs canons terriblement retentissans ils ébranlèrent au loin la place. Il fut rendu compte de ce tapage à la cour, laquelle ordonna d’expulser les étrangers. Après cette époque, peu de tributs furent apportés à Canton. Le gouvernement s’en aperçut et permit de nouveau aux barbares à cheveux rouges de séjourner dans les factoreries. » Mais, il y a bien moins de trente ans encore, le navire marchand qui eût osé se présenter à une des passes de la Corée, dans un des ports du golfe du Tonkin ou dans la mer intérieure du Japon, eût été infailliblement coulé par les canons des jonques impériales chinoises et japonaises ou attaqué par des pirates féroces. Des