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13 mai, une batterie subitement démasquée dans l’île de Saint-Germain ouvrit son feu contre la flottille, qui, virant de bout en bout, fit une retraite très précipitée pour aller reprendre son poste de refuge ; elle allait vite, accélérée par le sifflement des obus qui battaient l’eau près d’elle, mais pas assez vite cependant pour éviter tout désastre. La canonnière l’Estoc, atteinte d’un boulet à la ligne de flottaison, coula à pic, l’équipage se sauva à grand’peine, et ceux de ses marins qui ne savaient point nager furent noyés, car, dans cette fuite éperdue, nul ne pensa à stopper pour leur porter secours. Cela donna à réfléchir ; on crut s’apercevoir que la flottille, la fameuse flottille de la commune n’était plus en sûreté derrière les massives bâtisses du viaduc, et on vint l’amarrer en aval du pont de la Concorde. Nous l’y retrouverons le jour où l’amiral Pothuau la fit servir au triomphe du droit et de la justice, lesquels n’étaient ni la justice ni le droit dont Amouroux se plaisait à parler.


V. — LES MARINS DE LA COMMUNE.

Si la flottille fit piteuse figure pendant cette guerre impie, ce n’est pas que les éloges lui aient manqué. Jamais troupe d’élite, jamais bataillon sacré ne fut plus impudemment flagorné, car jamais à aucune époque de notre histoire on ne berna la population par plus de mensonges et d’inventions burlesques. Chaque jour le Journal officiel de la commune lâchait, et les journaux communards reproduisaient quelque proclamation emphatique dans laquelle le courage des marins de la flottille était célébré en bon style ; chaque jour on apprenait avec quelque surprise que le feu des canonnières éteignait invariablement celui des batteries françaises. C’était le secrétaire-général Boiron qui était chargé de la confection de cette rhétorique redondante ; il y excellait et y mettait l’orthographe comme il convient à un septième clerc de notaire. « L’ennemi a dû éprouver des pertes considérables ; quant à nous, nous n’avons aucun accident à déplorer. Sur toutes les canonnières, attitude magnifique sous le feu terrible de l’ennemi et dévoûmens marqués à la commune (30 avril). — Nos canonnières, par la justesse de leur tir, obligèrent cette batterie (château de Meudon) à se taire ; chaque obus portait et faisait subir des pertes à l’ennemi (1er mai). — Un obus envoyé par les batteries de Meudon étant tombé sur la berge sans éclater, le capitaine Junot, commandant la Claymore, donna ordre d’aller le chercher et de le renvoyer immédiatement aux Versaillais ; ce fut fait, et cette fois l’obus éclata en plein dans la batterie d’où il était parti et y occasionna de grands ravages. Du reste, par son attitude énergique, l’équipage de la flottille de la Seine est digne de tous les éloges. » C’est en ces termes que l’on parlait