Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 26.djvu/116

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avec entêtement des fables aussi puériles deviennent facilement capables de tous les crimes. La femme qui pendant le massacre de la rue Haxo se pencha, vers, un prêtre râlant et essaya, de lui arracher la langue croyait sincèrement que tous « les curés » sont dissolus, meurtriers et menteurs.

La double expérience faite au ministère de la marine ne convainquit personne et ne délivra pas M. Gablin d’obsessions insupportables. Jusqu’au dernier jour, jusqu’à l’heure si péniblement attendue où nos soldats franchirent, enfin les portes de Paris, on lui demanda la clé du souterrain. Malgré sa résignation forcée et son insouciante énergie, le pauvre homme n’en pouvait mais ; il se contentait de ne plus répondre et parfois envoyait vertement « promener » ceux dont l’insistance devenait trop fatigante ; à bout de raisonnement, et de démonstrations, il se disait : « Ces gens-là, sont fous ! » Il avait raison.

Avant de quitter l’hôtel de la marine après la longue perquisition du 4 avril, les délégués de la commune, auxquels les employés réguliers n’inspiraient qu’une médiocre confiance, désignèrent parmi les capitaines du 224e bataillon un homme de confiance qu’ils instituèrent gouverneur, avec mission d’exercer toute police et toute surveillance dans l’intérieur du ministère. Leur choix se porta sur un nommé Gournais, dont les sentimens patriotiques étaient peut-être irréprochables, mais dont l’orthographe avait parfois de singulières défaillances. Le citoyen gouverneur, qui fit immédiatement ajouter un galon de plus à son képi, devenait au ministère le représentant le plus élevé de l’autorité ; il avait droit de haute et basse justice sur les employés et, comme tout parvenu, abusait volontiers de son pouvoir ; mais on réussissait sans grande peine à conquérir ses bonnes grâces et à mériter ses faveurs, car il ne restait jamais insensible à l’offre d’un verre de vin. On le prit par son faible et l’on trouvait plus facile de le griser que de le convaincre. Malgré la présence de ce personnage officiel, on peut dire que le ministère chômait ; les appartemens, le cabinet du ministre, les bureaux des directeurs étaient fermés ; la commune n’était représentée que par une occupation militaire incommode, bruyante, souvent ivre, mais qui du moins ne faisait aucun acte administratif et laissait croire que le gouvernement de l’Hôtel de Ville, étroitement limité à l’enceinte de Paris, où il était bloqué par les troupes françaises, trouverait inutile de s’occuper de la marine. On se trompait : la situation de délégué à la marine, l’envie fastueuse de se dire le successeur des De Rigny, des Roussin, des Rosamel, des Rigault de Genouilly, des Pothuau, avaient de quoi tenter plus d’un amateur ; on en eut bientôt la preuve.

Cette position était ardemment convoitée par un homme dont nous