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Ce fut Napoléon Ier qui changea la destination du garde-meuble et l’attribua au ministère de la marine. Mes contemporains se rappelleront sans doute que, sur le pavillon qui s’appuie à la rue Saint-Florentin, s’agitait jadis un télégraphe aérien ; celui-ci était exclusivement réservé à l’usage de la marine et correspondait avec Brest ; il a disparu depuis l’adoption de la télégraphie électrique. Le monument est construit en fortes pierres de taille ; il domine la place de la Concorde, commande le pont, découvre les Champs-Elysées et se dresse entre deux rues parallèles, la rue Royale et la rue Saint-Florentin, qui peuvent lui servir de dégagement. Il occupe une position stratégique importante en cas de guerre dans Paris, protège les abords des Tuileries et peut inquiéter le palais du Corps législatif ; par sa forme, par les matériaux résistans dont il est composé, il représente en outre une sorte de forteresse facile à défendre et difficile à réduire. Il devait donc être occupé par les insurgés que la commune avait improvisés généraux et pour lesquels le nombre des galons tenait lieu de capacités. Il fut entouré de barricades, armé, garni de troupes ; il fut le centre d’un combat violent, était destiné à l’incendie pour assurer une retraite prévue d’avance, et fut sauvé. Nous allons essayer de raconter ce qui s’y passa pendant la commune et dans quelles circonstances il put être préservé de la destruction dont il était menacé et dont tous les élémens étaient déjà réunis.


I. — LA RETRAITE SUR VERSAILLES.

Pendant le siège, les équipages de la flotte, amenés en toute hâte à Paris, avaient été héroïques. Les marins, enfermés dans les forts comme dans des vaisseaux de guerre, dormant dans le hamac, faisant le quart de quatre heures, sous le commandement de leurs officiers et de leurs amiraux, avaient été judicieusement soustraits à tout contact avec la population parisienne ; ils s’étaient contentés d’être partout où il y avait un danger à courir, une action d’éclat à faire, un service à rendre au pays. Quelques canonnières rapidement construites et armées avaient souvent descendu le cours de la Seine sous le feu de l’ennemi et avaient concouru dans une mesure très appréciable à la défense de la place. Lorsque Paris, ou, pour mieux dire, lorsque ceux qui avaient assumé sur eux le droit de représenter Paris, eurent signé la capitulation déguisée sous le nom d’armistice, les troupes françaises, en dehors de toute garde nationale, se composaient de 4,590 officiers de ligne, 366 officiers de marine, 2,548 officiers de garde mobile ; de 126,657 soldats de ligne, de 13,665 marins, de 102,843 gardes-mobiles ; à ces chiffres, qui forment un total de 250,669 hommes, il convient d’ajouter 8,000 malades et 32,000 blessés ; c’était donc, sans illusion, une