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immédiates et de menaces pour l’avenir, pour un avenir qui n’est peut-être pas bien éloigné ! On abroge, du droit de l’épée victorieuse, de sa propre autorité, un ordre général reconnu et garanti par tout le monde. On fixe le sort d’un empire, on distribue les territoires, on érige des indépendances et des royaumes, on dispose des provinces, des ports, de la navigation des fleuves. La question est maintenant de savoir dans quelle mesure des arrangemens particuliers entre la Russie et la Turquie peuvent régler tant de choses considérables, comment ces combinaisons nouvelles se concilieront avec les vœux de l’Europe, jusqu’à quel point les puissances peuvent laisser passer des révolutions d’équilibre qui se déguisent à peine sous le nom d’une paix imposée par la victoire. Que la Russie, après une guerre heureuse, réclame le prix du sang versé, de ses efforts et de ses succès, on ne peut assurément s’en étonner. Elle peut infliger à la Turquie des conditions dures, c’est la loi des jeux de la force ; mais ici, il ne faut plus s’y tromper, ce n’est plus la paix conquise avec ses avantages, c’est la destruction de tout un ordre de choses ; c’est une situation absolument nouvelle caractérisée par la dépendance de ce qui reste de l’empire ottoman, c’est une transformation violente de l’Orient préparant fatalement pour un avenir prochain d’inévitables orages, de plus redoutables conflits, sans la participation de ceux qui ont toujours eu, qui peuvent avoir encore un rôle dans ces grandes et délicates affaires.

Il y a, dira-t-on, des questions d’intérêt général qui seront réservées à l’Europe ; la diplomatie aura l’occasion de se prononcer sur les détroits qui ferment la Mer-Noire ; Si on en parle dans les préliminaires de paix, ce n’est que pour la forme, un congrès ou une conférence en décidera. Il y aura sans doute une conférence, si on le veut, quand on sera parvenu à se mettre d’accord sur la ville où elle devra se réunir, sur la manière dont elle sera composée et présidée, sur l’objet précis de ses délibérations, sur les limites de sa juridiction. Quand tout cela sera réglé et entendu, il y aura une conférence ou un congrès, qui se réunira à Vienne ou à Bade, ou à Lausanne ou à Venise, à moins que ce ne soit ailleurs, — qui délibérera solennellement sur la manière de se passer des traités ! En attendant, les événemens marchent, et, sous le voile d’un armistice, la guerre poursuit son œuvre jusqu’au bout. Les questions les plus graves, les plus contestées et les plus contestables, sont tranchées par la force, et l’Angleterre, l’Autriche, commencent sans doute à voir ce qu’elles ont gagné à laisser éclater la guerre, à prendre tant de soins pour définir leur neutralité, pour borner leur action à la sauvegarde de ce qu’elles ont appelé les « intérêts anglais, » ou les « intérêts autrichiens. » Elles sont exposées à se voir dépassées à chaque instant, et, pour ainsi dire, bernées par les faits accomplis, qu’elles ne peuvent plus ni enchaîner, ni retenir.

Ce que feront réellement aujourd’hui l’Autriche et l’Angleterre, on ne